Nicolas de Rabaudy —
Temps de lecture: 8 min
En dépit de la terrible crise qui frappe le tourisme haut de gamme et les grands hôtels de la capitale –fréquentation en recul de 30 à 40%–, les bons cuisiniers s’installent dans le paysage gourmand parisien et un chef péruvien, Gaston Acurío, draine la belle clientèle au bas des Champs-Élysées. Du jamais vu dans la ville de Curnonsky et du Taillevent.
Dans l’ancienne salle des ventes de l’avenue Montaigne, deux investisseurs fous des cebiches aux poissons crus et des sauces pimentées, le petit-fils de Jean Patou, Benjamin, et le chanteur canadien Garou, associés au grand chef péruvien Gaston Acurío, le Ducasse inca, ont créé un restaurant au sous-sol ouvert aux deux repas où sont offertes les multiples spécialités de là-bas, d’une étonnante variété.
Lima est d’ailleurs devenue une capitale gastronomique d’Amérique du Sud –Acurío a étendu son savoir-faire, son expérience au piano dans des dizaines de tables sur le globe.
Salle de restaurant Manko © D. Delmas
Voici Paris maintenant: Manko à l’allure d’un club de nuit plaît aux gourmets curieux, avides de sensations exotiques. La carte est très excitante, au moins trente plats à des prix humains.
Le cebiche mixto mêle le poisson blanc type bonite aux gambas, poulpes, leche de tigre à l’ail (14 euros), le King crabe épicé est mouillé d’une mayonnaise au citron (14 euros), les brochettes de bœuf sont marinées au pimento, origan et aïoli au piment (14 euros), la bavette de bœuf Angus saignante est arrosée de la fameuse sauce chimichurri au persil, ail, oignon et vinaigre (24 euros) et la mousse au chocolat péruvien voisine avec le quinoa croustillant et sa glace maison au lucuma (15 euros).
Anticucho au ris de veau au restaurant Manko © Alban Couturier
Tout cela est sidérant de goûts, de saveurs, de parfums et la carte d’une richesse inouïe traduit la créativité époustouflante du répertoire péruvien.
En cuisine, le chef espagnol, Ruben Escudero, s’est pénétré cinq années durant des recettes si variées du génial Gaston Acurío, sensible à la culture des Andes et à l’exubérance de l’Amazone –Dieu quel sens aigu des bonnes choses! Les papilles sont à la fête, les gens ravis.
Arroz con pato, canard au riz chez Manko © Alban Couturier
Le voyage culinaire à travers les assiettes et les compositions de là-bas est un grand succès. Au dîner, deux services: à 20h30 et 22h30. Quel restaurant à Paris exige encore un tel rythme?
• 15, avenue Montaigne 75008 Paris. Tél.: 01 82 28 00 15. Menus au déjeuner à 24 et 26 euros, bon prix. Dîner de 70 à 90 euros. Vins de tous pays, Bordeaux 2017 à boire. Cabaret spectacle à 22h30, entrée 50 euros avec une consommation. Fermé dimanche.
De loin, la meilleure brasserie de Montparnasse pour le décor 1930 préservé et, surtout, pour la qualité des poissons et crustacés de pêche durable et saisonnière: c’est la mer à Paris, écrit un fidèle de l’édition.
Ces jours-ci, le chef Franck Graux privilégie le gigot de lotte aux truffes (60 euros), la fricassée de Saint-Jacques au foie gras (50 euros), le rare taboulé de gamberoni crus de Sicile (28 euros), les ormeaux sauvages, un régal (28 euros) et le turbot épais sauce hollandaise et épinards (58 euros), un grand plat.
La bouillabaisse est présente en deux services, c’est le chef-d’œuvre de la carte, divine soupe à l’aïoli (60 euros) avec la sole meunière de 400 grammes qui a ses inconditionnels (50 euros). Ne pas négliger le tartare de dorade (19 euros), la friture d’éperlans (19 euros) pour aiguiser les papilles avant une sorte de festin iodé recommandé par la Faculté.
La bouillabaisse du Dôme à Montparnasse
On termine par l’exquis millefeuille vanille (12,50 euros) et l’on boit des blancs frais de Sancerre ou de Chablis à des prix humains.
• 108, boulevard du Montparnasse 75014 Paris. Tél.: 01 43 35 25 81. Pas de menu. Carte de 50 à 80 euros. Complet le week-end. Pas de fermeture.
Donnant sur les jardins du Palais Royal et les beaux immeubles de pierres blanches où ont vécu Cocteau, Jean Marais et Colette, habitués du Véfour de Raymond Oliver, cet emplacement historique est le premier atout de cette table élégante, rénovée par le groupe hôtelier Evok.
Le second, c’est la présence du chef longiligne Philip Chronopoulos, formé par Alain Passard à l’Arpège, puis sélectionné par Joël Robuchon pour tenir le laboratoire de création puis la cuisine de l’Atelier des Champs-Élysées, récompensé de deux étoiles (une seule en 2017). Ce cuisinier grec d’origine est l’un des meilleurs disciples du maître poitevin, recordman des étoiles dans les guides rouges (trois à Tokyo, trois à Las Vegas).
Le restaurant du Palais Royal
Au Palais Royal, Philip Chronopoulos applique les règles majeures du maître Joël, pas plus de trois produits dans l’assiette, pas de confusion: l’épure. Et les vrais goûts dans le palais.
Les crevettes bouquets en ravioles sont mouillées d’une nage réduite (au menu du déjeuner), le poulpe est enrichi de piment fumé et de pommes grenailles caramélisées (32 euros), les Saint-Jacques épaisses juste saisies, truffe noire et sauce au vin du Jura, le chef-d’œuvre actuel (65 euros), la volaille jaune des Landes est escortée de céleri rave à la noisette et foie gras coulant (46 euros): excellents prémices.
Volaille, céleri et noisettes au restaurant du Palais Royal
Remarquables desserts de la Japonaise Mikiko Ishihara, experte en clafoutis aux pommes rehaussé par un sirop d’hibiscus donné à tous les mangeurs qui privilégient le baba au rhum à la chantilly et glace au gingembre, une rareté (17 euros).
Ce récital d’un raffinement maîtrisé a été étoilé au Michelin 2017, quelques mois après l’ouverture. Le chef est bien parti pour la seconde. Au verre, le Château de Beaulieu rouge provençal bien corsé (18 euros). Pain parfait. Bon café. Une adresse à ne pas négliger.
• 110, Galerie de Valois, 41 rue de Valois 75001 Paris. Tél.: 01 40 20 00 27 Menu au déjeuner à 48 euros. Menu dégustation à 142 euros, mets et vins + 58 euros. Fermé dimanche et lundi.
Sur les hauteurs de Montparnasse, un pro de la restauration moderne, le chef Philippe Bélissant formé chez Laurent puis chez Ledoyen aux côtés de Christian Le Squer, trois étoiles, a gagné sa première étoile dans les années 2000 à l’Hôtel des Beaux-Arts où mourut Oscar Wilde : une jolie prouesse accomplie dans cet écrin de beauté et de confort façon Jacques Garcia.
Avec le compère et ami Jérôme Cobou en salle, ils ont ouvert cette petite boîte (Curnonsky) tout entière vouée aux plaisirs de bouche – excellente carte des vins à des prix décents. Ils font le plein aux deux services : pas de crise chez les restaurateurs honnêtes, bienveillants et respectueux de la clientèle. Aucun coup de fusil, à l’heure du café.
Restaurant Cobéa
Tous les plats, une douzaine pas plus, font envie: la coquille Saint-Jacques du port de Bessin cuite à merveille, la dorade en ceviche, le Saint-Pierre de ligne breton, la raie sauvage et l’exquis poulet au Savagnin du Jura et aux oignons des Cévennes, le poulpe de Palamos (excellente origine) à l’avocat et tarama maison, le ris de veau crousti-moelleux comme il se doit, le filet de bœuf maturé, crémeux aux pommes, et la tarte au chocolat rivale de celle historique de l’Ambroisie, succulente conclusion –et deux fois moins chère.
Le Saint-Pierre de ligne breton au restaurant Cobéa
Pain du génial boulanger Dominique Saibron à la Porte d’Orléans. Beurre à la moutarde et voluptueux brie truffé par le chef. Meursault 2012 au verre (17 euros), Mercurey rouge de Bourgogne (10 euros) servi frais. Typiquement le restaurant de quartier, repère de fines gueules en quête d’émotions.
• 11, rue Raymond Losserand 75014 Paris. Tél.: 01 43 20 21 39. Menu au déjeuner à 50 euros, 85 euros pour quatre recettes, 105 euros pour six, un festin mémorable. Fermé dimanche et lundi.
C’est le premier restaurant de Cyril Lignac, aveyronnais aux mains de sorcier de la poêle, formé par Alain Passard, les frères Pourcel à Montpellier et à la Grande Cascade. C’est aussi le seul étoilé –deux Tours Eiffel dans le guide Lebey 2017– du quatuor de tables inventées par ce cuisinier inventif qui a su faire évoluer les recettes classiques en les pimentant de trouvailles et de cuissons exactes.
Ce grand gaillard jovial et bosseur a l’art de découvrir de très bons cuisiniers comme Mathieu Croze, ancien chef de partie chez Anne-Sophie Pic à Valence et à Lausanne.
La carte d’hiver de l’établissement chic, bien tenu, nappes blanches et canapés de velours, ne comporte qu’une douzaine de plats mitonnés avec un vrai sens des saveurs et des accompagnements –sûrement l’une des meilleures adresses du XVe arrondissement.
Truite Banka au restaurant le Quinzième
Le chef-d’œuvre incontestable, c’est le pigeonneau royal en tourte au foie gras, betteraves et poires: une préparation savante et goûteuse, au menu Découverte. Les Saint-Jacques de plongée ou de Normandie sont présentées en deux préparations légumières d’un total raffinement, tout comme la langoustine dorée en tartare et salicorne au vinaigre de riz, une royale entrée.
Le grand menu à sept assiettes est un beau repas proche de la deuxième étoile : huîtres cuites, homard, chevreuil et fromages du maestro Bernard Anthony, plus le crémeux cacaoté, un must pour de fins palais.
Saint-Jacques à la clémentine au restaurant le Quinzième © Thomas Dhellemmes
Tout cela n’est pas donné, mais la qualité se paie. Vins au verre bien choisis: Fitou fruité (12 euros le verre). Service de grande maison. Le succès médiatique n’a pas estompé la créativité de Cyril Lignac.
• 14, rue Cauchy 75015 Paris. Tél.: 01 45 54 43 43. Menu au déjeuner à 65 euros. Beaux menus à 140 euros pour quatre assiettes et 160 euros. Fermé samedi et dimanche.
C’est le second restaurant de l’Hôtel Meurice (1835), en face des Tuileries où Salvador Dalí a vécu des décennies, sculptant au couteau les boiseries de sa suite, ce qui horrifiait les cadres du palace, lesquels laissaient faire. Le grand peintre surréaliste faisait tellement de publicité pour le Meurice qu’on lui passait ses caprices.
À l’époque, il n’y avait pas de restaurant au rez-de-chaussée, dans le lobby, juste un salon d’accueil et de repos. Le groupe Dorchester et Alain Ducasse, chef conseil recruté par Franka Holtmann, la belle directrice générale, ont inventé cette salle de restaurant lumineuse dont le plafond spectaculaire a été conçu et réalisé par Ara, la fille de Philippe Starck (en charge de la décoration de l’hôtel, des luminaires, des meubles…). Rajeunissement réussi, sans choquer.
Le Dalí s’est mis au goût du jour grâce au chef deux étoiles Jocelyn Herland, venu du Dorchester de Londres et Francis Fauvel, en charge de la cuisine méditerranéenne du lieu de mémoire. Les nouveaux plats viennent des produits et recettes de Catalogne, de Ligurie et de la Côte d’Azur, ce qui confine une attractivité particulière aux douze préparations à la carte : la caponata de légumes, une ratatouille à l’italienne (8 ou 16 euros), les patatas bravas fourrées à l’ail (12 et 22 euros), le velouté délicat de brocoletti crémé au parmesan (12 et 24 euros), le poulpe aux herbes et pois chiches (14 et 28 euros), et l’admirable jambon culatello du maestro Massimo Spigaroli (18 et 38 euros), le caviar du jambon. Tout cela surprend et suscite la curiosité.
Les entrées à partager mettent en appétit pour l’exquis rouget aux pommes safranées comme à Marseille (44 euros) ou la longe de veau aux navets et salsa verte (48 euros) ou encore les Saint-Jacques à la plancha, noisettes et riquette (48 euros).
Pouple, herbes, pois chiches rafraîchis au restaurant Dalí © Pierre Monetta
En baisser de rideau, le plateau de desserts signés du génial pâtissier Cédric Grolet: le Mont-blanc divin à sa façon (18 euros), le Paris-Brest à la pistache (18 euros), la tarte au citron (18 euros) et l’éclair à la poire, rare (18 euros).
Éclair à la poire au restaurant Dalí © Pierre Monetta
Sur le pouce, un éventail de club sandwiches : au poulet (34 euros), au saumon fumé (38 euros), au homard (52 euros), grande salade composée (28 à 38 euros). Laurent Perrier au verre (18 euros). Un des très bons repas de Paris, pas donné.
• 228, rue de Rivoli 75001 Paris. Tél.: 01 44 58 10 44. Menus à 54 et 68 euros. Carte de 48 à 75 euros. Voiturier. Pas de fermeture.
Nicolas de Rabaudy
Guy Savoy, une vie exemplaire de maître cuisinier
Giuliano Sperandio, le nouveau chef du Taillevent, offre une cuisine sensible au service de la mémoire
À Aix-en-Provence, la Villa Saint-Ange offre un écrin à la mesure du chef Gagnaire
Newsletters
La quotidienne
de Slate
Une sélection personnalisée des articles de Slate tous les matins dans votre boîte mail.
La kotiidienne
de korii.
Retrouvez chaque matin le meilleur des articles de korii, le site biz et tech par Slate.
Guy Savoy, une vie exemplaire de maître cuisinier
Le grand chef a le métier de cuisinier chevillé au corps et un goût esthétique prononcé. D’où le succès de tous ses restaurants, particulièrement le trois étoiles à la Monnaie de Paris.
— 11 décembre 2022 — Temps de lecture : 7 min
Pourquoi passe-t-on du salé au sucré lors d’un repas?
Si en France, on finit généralement le repas par un dessert, ce n’est pas le cas partout dans le monde.
— 7 décembre 2022 — Temps de lecture : 3 min
Épicer vos plats peut améliorer votre santé
Manger des cacahuètes (grillées à sec et non salées) aussi.
Repéré par — 7 décembre 2022 — Temps de lecture : 2 min