La Semaine du goût lève le voile sur l'umami, la cinquième saveur – Le Figaro

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Gros plan sur une sensation gustative méconnue qui pourrait bien bousculer notre rapport à l’assiette.
Jeudi prochain à 9 h 30, les élèves de CM1 de l’école des Francs-Bourgeois, à Paris, recevront une hôte de prestige, une star de la culture nipponne. Mme Kazuo Goto, 66 ans, est descendante d’un des fondateurs de la cérémonie du thé. Invitée dans le cadre de la Semaine du goût, qui rend hommage, du 13 au 19 octobre, à la cuisine japonaise, la Tokyoïte se propose un défi de taille: initier les enfants à l’umami, la cinquième saveur. «Je vais leur proposer de goûter des algues salées, une prune japonaise au goût très acide, de petites confiseries japonaises sucrées appelée “konpeito” et du chocolat amer français, expliquait-elle jeudi par téléphone. Et je conclurai par un bouillon dashi préparé le matin même: c’est dans cette recette japonaise que s’exprime la quintessence de l’umami.» À une lettre près, le mot pourrait être l’anagramme de «miam» et ce n’est sans doute pas un hasard. En français, il signifie «goût savoureux».
À la fois neutre et très présent, il demeure un mystère pour le commun des Occidentaux. «Le grand problème de l’umami, c’est que l’on considère que c’est un goût japonais, alors qu’il est international», regrette Laurent Séminel, auteur en 2011 d’Umami. Le cinquième goût savoureux (Marabout). Le parmesan, la tomate mûre, le roquefort, le jambon pata negra sont tout autant de produits qui en sont pourvus sans qu’on le sache. Les scientifiques observent que même le lait maternel, aliment originel sur tous les continents, est un concentré de cette saveur. Comme le Monsieur Jourdain de Molière qui faisait de la prose sans le savoir, nous mangeons umami sans le nommer. «L’umami, c’est tout ce qui est gourmand et sapide, avec cette sensation de plaisir en bouche qui donne envie d’y revenir», explique Alexandre Bourdas, chef étoilé du SaQuaNa à Honfleur et auteur le mois dernier, avec neuf autres cuisiniers étrangers, d’un ouvrage en anglais sur le sujet (Umami. The Fifth Taste, Éditions JPT). Son séjour de trois ans au Japon lui a donné les clés de cette saveur indissociable de la culture culinaire du pays.
«La cuisine japonaise opère par épuration, glisse Laurent Séminel. La française, elle, s’organise dans la superposition, l’association et les accords. Ce qui rend moins évidente la sensation d’umami. C’est un goût dont, culturellement, on ne se soucie pas. Quand nous dégustons un plat, nous cherchons le sel, le sucre, l’acide ou l’amer, et c’est tout. Pourtant, si nous n’avions pas la manie de vouloir le corser, il serait très net par exemple dans le bouillon de pot-au-feu.»
En cuisine, tout n’est en fait qu’une question de culture. Et de mots. «Dans saPhysiologie du goût, parue en 1825, le Français Brillat-Savarin avait déjà désigné sous le terme d’“osmazome” ce que les Japonais identifieront plus clairement comme “umami” quatre-vingts ans plus tard», rappelle Tomoko Murakami, ambassadrice de la culture culinaire de la région de Tohoku, qui conseille les organisateurs de nombreux événements gastronomiques japonais en France. Mais le terme n’est pas resté dans les mémoires. Paradoxalement, c’est après un séjour en Europe que le chimiste Kikunae Ikeda remarqua, en 1908, que le bouillon dashi à base de kombu possédait un goût différent des quatre saveurs déjà répertoriées. La molécule de glutamate est responsable de cette sapidité qu’il nomme dès lors «umami». L’année suivante, il s’associe avec un certain Saburosuke Suzuki, dépose un brevet, et lance la société Ajinomoto («origine du goût» en japonais).
En 1913, l’un de ses disciples, Shintaro Kodama, découvre que deux ingrédients également utilisés dans la confection du dashi, la bonite séchée et les champignons shiitake, contiennent des ribonucléotides, une autre substance chimique qui confère aussi le goût umami. Il comprend alors qu’il existe une synergie entre celle-ci et le glutamate et que les aliments qui en sont riches, lorsqu’ils sont associés, décuplent la sensation de goût umami.
Une chose est certaine. En synthétisant ces molécules, Kikunae Ikeda a eu le nez creux. Un siècle après sa création, Ajinomoto fait figure de mastodonte de l’agroalimentaire au Japon, avec 11 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel. Dans le documentaire Le Secret des saveurs du Japon, diffusé cet été sur Arte, le Pr Toru Fishiki, de l’université de Kyoto, remarque que même rassasiées, ses souris de laboratoire continuent de laper le dashi et ne cessent d’en redemander. «Plus on en mange, plus on aime ça. On peut parler d’addiction dans ce cas-là», commente le scientifique.
Alors que le Japon, qui a vu sa gastronomie classée au patrimoine immatériel de l’Unesco en décembre dernier, s’inquiète de voir ses traditions culinaires disparaître, les échanges gastronomiques grandissants entre la France et le pays du Soleil-Levant aident. Le fameux dashi, bouillon d’algue kombu, de bonite séchée et de champignon shiitake, est ainsi devenu un gimmick des tables gastronomiques en vue. À l’Astrance (trois macarons Michelin), Pascal Barbot le verse sur un plat de rouget, jeunes poireaux et achards de légumes. Le substrat joue un rôle d’exhausteur de goût. «En cuisine, l’effet de l’umami est d’ajouter de la saveur, de la richesse et une sensation presque tactile en bouche», commente le professeur John Prescott en préface d’Umami. The Fifth Taste. Alexandre Bourdas, lui, réunit la brioche de seigle, les algues, les sardines grillées, la sauce soja, les épinards et le roquefort pour un plat «au goût superbement intense».
Il n’en fallait pas plus pour que le food-business s’en empare. La recette? Un peu de mystère et beaucoup de snobisme. Aux États-Unis, la chaîne de fast-food Umami Burger fait un malheur depuis 2009 et affiche plus d’une vingtaine de restaurants. «Si vous mettez du fromage et de la viande entre deux tranches de pain, vous obtenez un plat très umami», indique Laurent Séminel.
Il y a quinze jours, la marque de champagne De Sousa, qui fait un tabac au Japon, emboîtait le pas et créait une grande cuvée bio baptisée «Umami». Cet assemblage de chardonnay et de pinot noir affiche «une belle rondeur, de la largeur, de l’étoffe», assure le vigneron Érick De Sousa. Devant notre scepticisme, notre experte Kazuo Goto commente: «Il n’est pas impossible que le vin pétillant soit umami. D’ailleurs, le saké, lorsqu’il est bien fermenté, peut présenter cette propriété.» Quant au salon Saveurs à Paris (du 19 au 23 novembre, portes de Versailles et de Champerret), il devrait axer une partie de ses animations autour de cette «nouvelle» saveur.
Parmi les exposants, la marque Umami Paris, lancée cet été, s’est donné pour objectif d’importer en France le meilleur des produits japonais. «Le mot “umami” est en train d’entrer dans le langage commun», assure la cofondatrice Laure Béguin. Au fait, qu’en dit-on à la prestigieuse école de cuisine Ferrandi, à Paris, antichambre aux étoiles? Au son du mot «umami», la réaction est éloquente: «Vous parlez de la cuisine de grand-mère?» Vérification faite, on apprendra que la notion est uniquement évoquée lorsque des chefs asiatiques sont invités à donner des cours. De là à le faire figurer dans les leçons de sciences naturelles au même titre que le sucré, le salé, l’acide et l’amer? La réponse de Cyrille Schwartz, président de la Semaine du goût, est plutôt prudente: «Il faudrait une autorisation du ministère de l’Éducation nationale. Ce n’est pas de notre ressort de le rendre officiel.» Avant d’assurer: «Dans cinq ans, l’umami aura gagné en reconnaissance en France. Je suis convaincu que sera l’accélérateur de la cuisine de demain.» Les paris sont ouverts.
13 octobre
Yannick Alléno (Ledoyen), Akrame Benallal (Akrame), David Toutain et Franck Baranger (Pantruche, Caillebotte): la crème des cuistots parisiens a rendez-vous place de l’Hôtel-de-Ville (75001) pour une «leçon de goût géant». Plusieurs centaines d’écoliers sont attendus pour cet événement. De 9 heures à 10 h 45.
17 octobre
La Rencontre nationale des chefs de demain accueille une armada de cuisiniers et quelques personnalités japonaises. Parmi elles, Kazuo Goto préparera un dashi et des onigiri de poulet et champignon. Démonstrations de 11 h 15 à 16 h 30 à l’École hôtelière, 20 rue Médéric, 75017 Paris.
15 octobre
Le chef Didier Defontaine, du restaurant troyen La Mignardise, livre une master class en amphi aux étudiants de l’Institut de formation en soins infirmiers (Ifsi). De 10 heures à 12 heures.
18 octobre
Jacques Decoret, cuisinier du restaurant étoilé Maison Decoret, anime un des onze «ateliers secrets des chefs» qui se dérouleront dans la halle du grand marché de Vichy tous les matins de la semaine. La recette à l’honneur? «Un blanc d’œuf qui flotte sur un parfum de fruit de la passion». De 9 heures à 13 heures.
Du 13 au 19 octobre
La Maison Valette, fabricant de foies gras depuis 1920, organise des ateliers pédagogiques à la découverte des caractéristiques organoleptiques de la spécialité du Périgord: odeurs, saveurs, textures… 24, rue Saint-James. Tél.: 05 53 57 17 15.
David_Illouz
le
Il est vrai que nous avons du retard là-dessus et que le terme d’invention semble inapproprié, toutefois l’article expose tout de même des informations intéressantes et c’est en diffusant le savoir que nous parviendrons à rattraper (peut-être!) ce retard.
sestercius
le
1985 Umami International Symposium à Hawaî . On peut pas dire qu’à Paris on soit vraiment en avance.Ce gout est utilisé depuis des siècles et des siècles, alors parler “d’invention”, francaise ou pas…
Angkor Vat
le
Il faut une autorisation du ministère de l’Éducation nationale ?
Comment être paralysé ?
Tout le problème d’une société sclérosée !
LA SÉLECTION DU FIGARO – Confitures, chocolats, atelier ou livres de cuisine: piochez dans nos récents coups de cœur pour constituer la liste de vos présents de fin d’année.
INFOGRAPHIE – Au même titre que le foie gras, les huîtres et la dinde, elle est entrée dans les foyers français il y a de cela bien des années, mais sous une tout autre forme.
PORTRAIT – Alors que l’inscription de la baguette au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco a été officialisée, ce boulanger, qui a gagné le concours de la meilleure baguette tradition de Paris en mai, défend son métier avec ardeur.
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La Semaine du goût lève le voile sur l’umami, la cinquième saveur
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