Avec sa nature magique et ses îles enchantées, la péninsule de Kii fait l’objet d’un véritable culte au Japon. Un nouvel hôtel la rend encore plus désirable…
Flanquée du temple bouddhique Seiganto-ji, la cascade de Nachi, haute de 133 mètres, chérie par les meilleurs peintres japonais.
Jérémie Souteyrat
Forêts ensorcelées, îlots par myriades, cuisine addictive… Inconnue en France, la péninsule de Kii est le secret le mieux gardé des Japonais. Parmi ces beautés naturelles et ces lieux imprégnés d’histoire, ils retrouvent une part d’eux-mêmes, sans doute la plus profonde: le sentiment de la nature, qui imprègne leurs arts et leur vie.
Pour cela, il faut d’abord prendre le train. Ancêtre du TGV, le légendaire Shinkansen en forme de bec d’oie s’est empli de passagers placides et discrets, vêtus avec goût et assis bien droits, devant lesquels le contrôleur s’incline avant de quitter le wagon. Une attitude à méditer pendant que le Japon s’enfuit par les fenêtres, horizon gris de villes et de banlieues où s’ouvrent parfois de menues rizières, attestant d’un pays montagneux aux côtes surpeuplées.
L’arrivée à Nagoya se fait dans l’excitation. A deux pas des capitales historiques, Nara et Kyoto, pointent déjà les monts Kii, leur arrière-pays. Un univers de poupées aux collines étroites et pentues, hérissées de cèdres rectilignes aux airs d’herbe géante et fourmillant de mille temples. Comme au cinéma, on y revoit les dignitaires médiévaux coiffer le respectable habit du pèlerin (chapelet et chapeau conique) pour s’immerger durant des jours dans la forêt primaire, saturée d’humidité.
Aux temples qui les accueillaient s’ajoutent aujourd’hui les ryokans, délicieuses auberges typiques équipées de sources chaudes. Bambouseraies denses ou colonnades de hauts cèdres ouvrant un vaste espace d’ombre envahi par les mousses, une végétation splendide et inconnue fait battre le coeur au fil des chemins.
Pour un natif de Tokyo, c’est toujours une grande émotion de claquer son bâton de ski sur ces routes dallées qu’ont foulées les preux du Japon. Et de converser avec les yamabushi, ces moines férus d’escalade, nourris de l’énergie de la montagne. L‘Occidental est, quant à lui, saisi de surprise en croisant des pierres vaguement humaines, emmitouflées d’un linge, où loge d’évidence un être surnaturel. Dans cette Brocéliande tropicale se condense un curieux mystère où tout vit et s’adresse à vous, le vent, les arbres, le renard qu’on dit être un messager des dieux.
Crépuscule sur la baie d'Ago, jardin d'eau bouleversant de sérénité.
© / Jérémie Souteyrat
Nommé Kumano Kodo, ce réseau de sentiers a été distingué par l’Unesco pour ses très fameux sanctuaires. Le plus magique est probablement le Nachi Taisha. On y accède par un long escalier dallé, escorté par des camphriers à grosses branches qui semblent jouer des biceps. Tout droit sorti d’une estampe d’Hiroshige, un groupe enfoui sous des parapluies transparents s’incline devant le torii: ce portail rouge sang ouvre la demeure des êtres invisibles -les kami-, qui exigent des ablutions rituelles avant d’être approchés. Les pèlerins pourront souffler plus haut, dans un pavillon vermillon aux poutres gantées d’or, enfoui sous les cyprès.
Parmi les cèdres vénérables d'une forêt primaire serpentent sentiers et escaliers de pierre, gravis depuis des siècles par les yamabushi, ascètes nourris de l'énergie de la montagne.
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C’est le temple shinto, antique religion des forces de la nature, consubstantielle au Japon. Étrangement, ce temple communique avec un autre, bouddhique celui-là et l’un des plus anciens: bien doté par les industriels nippons, il bourdonne de prières et de cérémonies. Rien ici n’étant dû au hasard, ces deux temples dominent un site naturel absolument grandiose.
Flanquée du temple bouddhique Seiganto-ji, la cascade de Nachi, haute de 133 mètres, chérie par les meilleurs peintres japonais.
© / Jérémie Souteyrat
Dans son écrin de cèdres géants, voici Nachi, une cascade haute de 133 mètres. Les meilleurs peintres du Japon ayant immortalisé sa longue chevelure de geisha, elle s’est changée en oeuvre d’art, née du génie de la nature. On sent intimement qu’il s’agit d’un lieu très sacré, où habite un kami (un dieu) puissant. Presque charnelle, la présence de celui-ci imprime à la nature une harmonie, où chaque mousse, chaque fougère occupe sa juste place, fixée de toute éternité.
Au pied du plus magique des sanctuaires de la péninsule, le Nachi Taisha, les colonnes rouges du torii marquent l'entrée du domaine des kami, esprits des lieux.
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Propre comme un franc suisse, une route aux accotements bichonnés mène au tout neuf Amanemu, excitant cadeau du groupe Aman à la région chérie des Japonais. Entouré de bois, ce resort “light” semble avoir été conçu comme un miroir de la nature environnante. Reliés par des tonnelles à claustras, ses bâtiments aux airs de dojo se dispersent dans un parc aux essences choisies: camélia du Japon, hazenoki aux feuilles incendiées par l’automne…
Au resort Amanemu, aux intérieurs épurés, les produits locaux rivalisent de subtilité.
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On y sert des repas renversants, où les produits locaux confrontent leurs subtilités de goûts et de textures, et rendent délicieux le visqueux et le fade : la soupe d’algues kombu aux saint-jacques et bonite sèche, avec pépins de yuzu et riz soufflé, s’arrose d’un saké divin, mi-prune, mi-abricot. On s’attend à croiser des kamis dans les vastes bungalows de chêne clair, décorés à la japonaise (panneaux coulissants), et dont l’ample cuve en basalte est alimentée par une source chaude.
Au resort Amanemu, aux intérieurs épurés, les produits locaux rivalisent de subtilité.
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Et on ne se lasse pas de méditer sur la terrasse, le nez enfoui dans un bol de thé vert, devant le maquis grésillant de criquets que borde au loin la baie d’Ago, jardin d’eau calme où les bateaux cabotent entre les huîtrières… Tant de sérénité bouleverse. A des milliers de kilomètres de chez soi, on peut renaître dans la peau d’un autre.
Cette province de Shima approvisionnait la cour de Kyoto en beaux produits marins. Ses plages à surf et ses mille îlots en ont fait un fleuron des vacances en famille. Pas de séjour sans un coup d’oeil à l’île aux Perles, lieu de légende où Kokichi Mikimoto (1858-1954), le futur joaillier, inventa les perles de culture. Sa recette: insérer dans la chair de l’huître un bout de sa coquille.
Une huître sur deux n’y survit pas, hélas, aussi doit-on organiser des cérémonies pour apaiser les âmes indignées des mollusques… A Toba, un musée détaille ce procédé ainsi que les chefs-d’oeuvre perliers de cet artiste conchylicole… comme pour mettre en appétit avant le magasin, où de très beaux bijoux s’achètent au meilleur prix. Avant Mikimoto, la collecte des perles était l’affaire de plongeuses, les ama.
Sur l'île aux perles, les Ama, mythiques plongeuses, se livrent au ballet de la collecte des coquillages.
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Ces battantes descendaient jusqu’à 10 mètres en apnée, reliées à leur baquet laissé à la surface – tout cela est raconté dans Le Tumulte des flots, un beau roman de Mishima (Gallimard). A l’oeuvre depuis deux mille ans, les ama étaient trop mythiques pour quitter la scène. Aussi les retrouve-t-on à l’île aux Perles se livrant à un show live, chastement vêtues d’imperméables de plongée.
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Ailleurs, elles continuent d’assurer bravement la pêche aux coquillages, fût-ce au plus froid de l’hiver. On déguste ceux- ci assis en tailleur dans des cabanons-restaurants, les huts, dûment cuits sur un tapis de braises, dans la vérité de leur seul jus marin. Attention : les ormeaux n’y sont pas, comme en France, attendris à grands coups de marteau… Mais cette aventure mystique se conclut dans l’émotion, le personnel consacrant de longues minutes à saluer votre départ en agitant les bras avec vigueur.
Servis dans des huts, cabanons-restaurants, des trésors de la mer cuits sur un tapis de braise.
© / Jérémie Souteyrat
Les rares barbares d’Occident de passage à Ise se font petits au sanctuaire, deux fois millénaire, le plus ancien -et le plus sacré- du Japon. D’emblée, la nature les engloutit dans son intensité: feuillages aux délicatesses de fée, troncs puissants striés de ravines, mousses aux formes extraterrestres et fleurettes évoquant la sophistication de kimonos précieux…
Passé le grand torii, porte du monde invisible, une rivière est enjambée par un grand pont dont chaque détail -clous, rambardes…- est un parangon d’élégance: hors d’âge et pourtant neuf, il est refait tous les dix ans grâce aux cyprès du sanctuaire, qui obéit aux mêmes règles.
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© / Jérémie Souteyrat
D’un pavillon monte une musique à la fois discordante et sublime, un miaulement lancé par cent chats: il y a douze siècles, le gagaku inventait la musique atonale. Il rythme toujours les danses du shinto, extatiques et majestueuses, en costumes et masques d’autrefois. Dans l’assistance, tous les portables sont au garde à vous, filmant la scène…
Pendant ce temps, les kamis attendent les offrandes, chacun tapi dans son sanctuaire. Plutôt que Kami-no- Kaze, dieu du vent aux yeux exorbités, adorez Amaterasu, la déesse soleil. Aïeule présumée des empereurs, elle habite le Shoden, pavillon le plus saint d’Ise, où repose son miroir sacré.
Un rude escalier mène à ce bâtiment sans esbroufe, mais aux proportions splendides, coiffé d’un épais toit de chaume. Ses prêtres y déambulent avec simplicité, vêtus de bonnets de soie et de kimonos chauve-souris, tout droit sortis d’un film de samouraïs. Tant pis pour les ors et les pompes : le recueillement est ici une affaire intime, à l’écoute des esprits du sol. Ce lien fort expliquerait le courage des Japonais, leur désir farouche de toujours bien faire. Il y a des millions de kamis au Japon.
Y aller: All Nippon Airways dessert Tokyo/Haneda en vol direct au départ de Paris. A partir de 555 euros, l’A/R. www.ana.fr. L’agence Tselana Travel (www.tselana.com) propose un package de voyage dans la péninsule de Kii: à partir de 5 655 euros par personne (sur une base double), les vols Paris-Tokyo A/R en classe économique, une nuit à l’Aman Tokyo en chambre Deluxe et trois nuits à l’Amanemu dans une suite, incluant les transferts privés et le voyage de Tokyo jusqu’à la baie d’Ago.
Y aller: Aman Tokyo Au 33e étage d’une tour du quartier des affaires, cet hôtel ressemble à un temple en pierre grise et bois de camphrier ouvert sur l’océan. A partir de 655 euros la nuit en Deluxe Room. 1-5-6 Otemachi, Chiyoda, Tokyo 100-004, +81-35-224-33-33. www.aman.com/resorts/aman-tokyo.
Amanemu A partir de 785 euros la nuit en suite. 517-0403 Préfecture de Mie, Shima, +81-012-09-51- 125. www.aman.com/resorts/amanemu
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