Haute voltige gastronomique – Le Devoir

Souvent, au moment d’écrire ce que j’espère être mieux que des insignifiances sur les maisons que je visite pour vous en parler, je mets un casque d’écoute et choisis quelques pièces musicales me semblant appropriées. Pour ce Mousso, j’ai pioché dans ma réserve de Daft Punk et autres drilles anarcho-punks, grunges ou funkcores. Allons-y gaiement.
Côté cuisine, Le Mousso est certainement ce que j’ai vu de plus éblouissant en ville depuis belle lurette. Antonin Mousseau-Rivard, le chef propriétaire, possède plusieurs gènes artistiques légués via sa maman par le grand-père Jean-Paul Mousseau et par son papa, Michel Rivard. Il y a quelques années, j’avais écrit tout le bien que je pensais de sa cuisine alors qu’il travaillait au Contemporain, le restaurant caché au fin fond du Musée d’art contemporain (MAC).
Début septembre 2015, le chef ouvrait son restaurant, Le Mousso, rue Ontario à Montréal, presque à l’angle d’Amherst. Quitter la faune du MAC pour celle de ce coin de la ville m’avait semblé une forme de mission optimiste. Tout le monde s’enthousiasma, à part quelques grincheux et le SPVM qui, des fois… Je décidai d’attendre un peu pour voir comment la chose prendrait.
Quelle soirée ! Vraiment ! Une succession de plats éblouissants, visuellement assez réussis pour être accrochés aux murs d’une excellente galerie d’art, et si savoureux qu’on en reste ébahi de la papille. Une dizaine de propositions garantissant un décoiffement inouï. Des compositions intelligentes, pleines de générosité et d’une grande créativité, des amuse-bouches jusqu’aux desserts.
Le festival commence avec trois petites choses, jolis présages d’une soirée dont on se souviendra longtemps : huîtres/boeuf wagyu ; laitue/garnitures et pommes de terre/foin. Dans le premier cas, les cuisiniers proposent, déposée sur un lit de galets, une belle huître des îles de la Madeleine par convive, sur laquelle ils ont déposé une brunoise de boeuf wagyu séché et de concombre, le tout enluminé de fleurs d’oignons sauvages lyophilisées. La microlaitue est décorée d’une idée de chèvre séché et de très fins copeaux de katsuobushi maison (bonite fumée et fermentée).
Le troisième est enthousiasmant : arrivent deux élégantes bolinettes ; dans l’une, des pommes de terre sur un lit de foin, et dans l’autre, de la crème sure maison posée à la douille surmontée de caviar d’attikamek, le poisson bien entendu, et d’oignons verts ébouriffés.
Un jeune homme met le feu au foin, les gens poussent des ah ! On goûte les pommes de terre ainsi fumées sur lesquelles on dépose une touche de crème sure et l’on est emporté dans un premier tourbillon.
Suit, sur un fond de tarte coloré à l’encre de seiche, une crème cuite à l’oursin, un peu faible en iode mais si couverte d’éclatantes fleurs de tagète que l’oeil en est ravi, et si bien accompagnée de feuilles parfumées de cette même plante que votre coeur d’Aztèque en sera bouleversé.
En plat suivant, un truc qui vous fera comprendre que la cuisine du chef et celle que prépare le commun des mortels sont deux mondes. Le titre « Collagène/crevettes/chiée d’herbes » est peu ragoûtant et le mot « kyrielle » y a été remplacé par « chiée », juste pour rigoler, sans doute. Présentées en taco, une ribambelle de crevettes de la Côte-Nord et quelques — je crois en avoir compté une vingtaine de sortes — fines herbes et fleurs.
Arrivent des pétoncles parfaitement rôtis au charbon et accompagnés de très fines lamelles de radis et de petits navets légèrement marinés. En fond d’assiette, un dashi du tonnerre et, semés sur l’ensemble, une pluie de grains de sarrasin rôtis et quelques petits pétales attendrissants. Sur le bord de l’assiette, comme une empreinte digitale, une réduction de tomates séchées, algues et champignons.
Pour quelques dollars de plus (voir la note en bas de page), le chef envoie une assiette de belles bouchées de homard cuit par chaleur résiduelle, beurre blanc, crumble de peau de poulet, le tout sous un lit très bien bordé de champignons juste passés à la torche. Je ne saurais trop vous recommander de vous laisser aller.
À ce stade-ci du repas, si l’on n’est pas habitué aux exercices de haute voltige gastronomique pratiqués sur la planète, on commence à ressentir une certaine lassitude mêlée d’allégresse.
C’est le moment que choisit ce garçon charmant, qui s’occupe de vous avec sollicitude depuis votre arrivée, pour vous glisser en souriant une nouvelle création préparée par les boute-en-train qui s’agitent en cuisine et qu’on aperçoit penchés sur ces magnifiques assiettes : gravlax de flétan cuit à basse température, salade tiède de pois et girolles, vinaigrette au babeurre fermenté, pistils de monarde.
Déjà, de la monarde, il faut oser ! Ici, ils osent carrément le pistil ! Et Jocelyn Després, le jeune homme en question ce soir-là, annonce le tout avec une élégance remarquable.
À peine avez-vous repris vos esprits qu’un autre jeune homme aussi souriant vous apporte un filet de canard de barbarie rôti sur coffre, betteraves rôties et purée, framboises et mûres sauvages lyophilisées, émulsion d’ail fermenté et feuilles tréflées d’oxalis.
À ce plat, on ne peut rien reprocher, tout y étant harmonieux, intrigant, absolument délicieux. Au jeune homme, peut-être sa sveltesse, si l’on n’a plus soi-même ce fuselé gracieux d’autrefois.
En prédessert, une glace au babeurre demi-sel, meringue au poivre, granité de fraises semi-mûries (« Afin de garder l’acidité de la fraise, vinaigre de vendanges de pommes tardives », précise le chef) ; et en dessert, un choc : déposé sur un lit de glace, un gros popsicle cubique à la camomille saupoudré d’éclats de foie gras et de tire à l’érable.
Tous les services sont présentés avec beaucoup de soin dans de voluptueuses céramiques sorties des mains magiques de Catherine Auriol, de l’atelier Gaïa. Un plaisir supplémentaire.
On quitte la table chancelant de tant d’émotions, un peu comme au sortir d’une de ces incroyables montagnes russes qui peuplent les parcs d’attractions. « Incroyable », « attraction », oui, ces mots s’appliquent parfaitement à ce Mousso-là.
Oh… une dernière petite chose, fâcheuse, certes, compte tenu du plaisir procuré ici par les assiettes : ces basses rythmées, sourdes, lourdes, qui sortent sans arrêt des haut-parleurs, non seulement n’apportent rien aux dites assiettes, mais elles leur nuisent en cassant les oreilles des dîneurs.
La cuisine d’Antonin Mousseau-Rivard — tout en légèreté, aérienne, presque éthérée — mérite beaucoup mieux. Garrocherait-on un Jean-Paul Mousseau contre le mur du fond d’un obscur garage ?
Le Mousso, 1023, rue Ontario Est, Montréal, 438 384-7410. Ouvert en soirée du mercredi au dimanche. Dix plats pour 80 $, et vous pouvez ajouter sans hésiter les 18 $ demandés pour le homard en milieu de repas. Accord mets et vins pour 140 $. Lorsque j’ai demandé la carte des vins en début de repas, le jeune homme responsable de la chose à cette adresse m’a répondu qu’ils n’en avaient pas et qu’il présentait lui-même ses vins « à la voix ».
De cette non-carte communiquée plus tard par Cedrick Lonergan, sommelier de son état, l’expert mondial Jean Aubry a dit : « Une carte — par ailleurs excellente — qui fait saliver autant que les plats de la maison, mais pas nécessairement à la portée de toutes les bourses. »

Légendes

★ Je regrette de devoir vous en parler
★★ Pas mauvais, mais on n’est pas obligés de s’y précipiter
★★★ Bonne adresse
★★★★ Très bonne adresse
★★★★★ Adresse exceptionnelle pour la cuisine, le service et le décor

$ Le bonheur pour une vingtaine
$$ Une quarantaine par personne
$$$ Un billet rouge par personne
$$$$ Un billet brun par personne
$$$$$ Le bonheur n’a pas de prix
1023, rue Ontario Est, Montréal, 438 384-7410. $$$$$
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