L’île aux épices, comme le reste de la Tanzanie, pensait avoir vaincu le covid par la prière et les plantes médicinales. Il en émane une énergie ébouriffante qui attire en masse les « réfugiés covid », au point de faire rebondir la pandémie. Si le tourisme est la principale source de revenu, l’écotourisme, encore embryonnaire, représente un formidable potentiel de développement pour les communautés locales
Cette nuit la pêche a été bonne. Excellente même. Tôt le matin à Kizimkasi, à l’extrême sud de Zanzibar, le va et vient des hommes qui remontent les dizaines de thons, bonites et impressionnants espadons de 1,5 mètre est incessant. Des pêcheurs, accroupis sur les bateaux en bois qui s’échouent au fur et à mesure que la marée baisse, ont remonté les voiles et allumé le feu du petit déjeuner. Sur la plage, les filets sont mis à sécher et les enfants commencent à éventrer les poissons. A l’intérieur d’un carré délimité par une corde, d’autres sont posés à même le sable et vendus à la criée. Des femmes aux châles chatoyants observent la scène, assises face à la mer. Les hommes écoutent les mises annoncées par des sortes de commissaires-priseurs en gilet orange qui font monter les enchères et cèdent la prise au plus offrant.
Covid vaincu par la prière, le jeûne et les plantes médicinales
Les pêcheurs croisent les touristes qui prennent la mer dans la direction opposée, en espérant faire quelques brasses avec les dauphins. Lorsque les nageurs reviennent, presque tous les poissons ont été vendus. La plupart des touristes repartent vers des endroits plus fréquentés de l’île, après avoir acheté quelques fruits sous le regard indifférent des habitants – des musulmans visiblement très tolérants vue la tenue de certains visiteurs. Zanzibar et la côte de la Tanzanie ont été la porte d’entrée de l’Islam en Afrique. Il y a été amené par les Perses au 13ème siècle et s’est ensuite répandu vers le Kenya, la Somalie et le nord, renforcé par la présence du sultanat d’Oman qui a contrôlé ces régions pendant deux siècles. En cherchant bien, on trouve même à Kizimkasi l’une des plus vieilles mosquées du continent, qui a plus de mille ans.
Si le tourisme a beaucoup pâti du confinement des pays industrialisés, depuis les fêtes de fin d’année et la reprise des liaisons aériennes beaucoup d’Européens – surtout des ressortissants des pays de l’Est, mais aussi quelques Suisses – se ruent vers Zanzibar, attirés par son exotisme légendaire et l’absence de covid. Comment est-ce possible ? « Nous avons beaucoup prié ! » lance sans hésitation un chauffeur de taxi. Une explication avancée par une grande partie de mes interlocuteurs, l’autre abondant dans des théories que sous nos latitudes on qualifierait volontiers de complotistes.
« Nous sommes un pays pauvre, la plupart des gens vivent à la journée, nous ne pouvons pas nous permettre un confinement, résume sobrement un habitant. Alors après l’apparition de quelques cas en avril dernier [509 cas et 21 morts officiellement], le président de Tanzanie, John Magufuli, a appelé à trois jours de prière et de jeûne, il nous a exhortés à utiliser les plantes médicinales et le virus a disparu. »
Européens « réfugiés covid »
Une affirmation impossible à vérifier puisque le gouvernement a arrêté le décompte, mais cette absence de peur et cette foi dans l’avenir sont une véritable bouffée d’oxygène pour les Européens, désignés ironiquement comme « réfugiés covid ». Ils réapprennent que le « masque » sert à regarder les poissons, la « vague » est un mouvement de la mer aux infinies nuances de bleu et la « distance » le temps de trajet en dala-dala, les minibus jamais trop pleins qui transportent pêle-mêle passagers et marchandises – sacs de ciment, matelas et cargaisons de bois.
En Tanzanie, où le revenu par habitant est de 1’122 USD par an, l’espérance de vie de 64 ans et le tourisme représente 11% du PIB, le gouvernement avait décidé d’ignorer le covid. Jusqu’à l’arrivée en masse des touristes, qui l’a fait rebondir. Le 21 février, le ministère de la Santé a déclaré officiellement le que le covid était présent en Tanzanie – une première. Le 17 février le vice-président de Zanzibar, Seif Hamad, est mort du covid.
Hier, 17 mars, le président de Tanzanie, John Magufuli, est mort à son tour “d’une maladie cardiaque” a déclaré la vice-présidente du pays, Samia Suluhu Hassan.
Le tourisme, une activité volatile
« La pêche que vous avez vue était exceptionnelle, mais parfois vous restez en mer toute la nuit et vous gagnez deux sous, lance Bakari, un jeune homme de 34 ans. J’étais pêcheur moi aussi, mais c’est un travail ingrat. Il y a une quinzaine d’années j’ai flairé le potentiel du tourisme, j’ai appris l’anglais tout seul en écoutant la musique – surtout James Brown ! – et en regardant des films, j’ai fait toutes sortes de petits boulots et petit à petit j’ai monté mon affaire. »
Mais l’activité est volatile car elle dépend de l’arrivée des Européens : « L’année a été difficile, se désole Ali, le propriétaire d’une guest house – chose assez rare car la plupart des hôtels appartiennent aux étrangers. La Tanzanie n’a presque jamais fermé ses frontières, mais jusqu’à début décembre il n’y avait quasiment pas d’avions et les touristes ne pouvaient pas venir. »
Des touristes qui s’agglutinent surtout dans quelques destinations, interagissent peu avec la population locale et logent pour certains dans des hôtels dont le luxe est un coup de poing à la pauvreté environnante. Pourtant la nuit venue, sur certaines plages, tout le monde danse ensemble autour des feux de bois.
Eco-tourisme plus bénéfique pour les communautés locales
Mais le tourisme profite-t- ‘il vraiment au pays ? « Bien sûr ! En gros, 1/3 de l’argent va à la population locale, 1/3 au gouvernement et 1/3 à l’investisseur, s’exclame Mohamed Ayoub Hadj. Mais l’éco-tourisme profite encore davantage aux habitants. » Ce sexagénaire respecté, que tout monde appelle bossi et parle un anglais excellent appris chez les missionnaires, est le coordinateur de plusieurs initiatives d’éco-tourisme gérées par les communautés locales et soutenues par l’ONG allemande World Unite ! Elle propose des séjours de quelques jours en pleine jungle dont la moitié du prix est censée aller aux communautés et qui sont une occasion unique de s’immerger dans la vie rurale zanzibarite. Le revenu sert à construire des écoles et fontaines et à soutenir des handicapés avec l’aide de volontaires internationaux. Mais cette forme de tourisme alternatif, peu connue, souffre encore plus du confinement des pays industrialisés – j’étais la première hôtesse depuis un an. « Nous avons besoin de soutien pour nous relancer !», lance Mohamed.
Les algues rouges, principale et maigre source de revenu des femmes
« Il y a vingt-cinq ans, la mangrove avait pratiquement disparu car les gens la coupaient pour faire du feu. Puis les villageois ont passé un accord avec cette ONG pour protéger l’environnement et ils ont arrêté de déboiser », continue-t-il en pagayant vigoureusement entre les mangroves, des arbustes qui freinent l’érosion des sols, aident à désaliniser l’eau et protègent la biodiversité.
Sur la petite île d’Uzi, juste en face, les habitants se sont cotisés pour construire une étonnante route inter-marées qui passe entre les mangroves, qu’on peut parcourir seulement à marée basse et qu’empruntent même les dala dala pour Stone Town. L’île est un véritable jardin d’Eden : la végétation est luxuriante et on la parcourt aisément à vélo de bout en tout, en traversant deux villages à la simplicité, la douceur de vivre et l’accueil inénarrables.
Sur la plage, à marée basse, des femmes courbées plantent et ramassent les algues rouges qu’elles font sécher devant la porte de leur maison. Un travail ingrat, pour lequel elles gagnent la misère de 50 ct/kg d’algues séchées et qui est pourtant la principale source de revenu de 24’000 d’entre elles. Le nouveau président de Zanzibar, Husseyn Mwinyi, qui semble susciter beaucoup d’espoir en raison de sa volonté de lutter contre la corruption et faciliter les investissements, s’est engagé à valoriser cette activité et les habitants attendent de voir.
A Paje, un village très prisé des kitesurfeurs, une entreprise sociale, Mwani, transforme les algues rouges en savons, crèmes et autres huiles de beauté qui sont revendus aux touristes. Les femmes qui y travaillent affirment avoir augmenté sensiblement leur revenu, mais il sera impossible de savoir de combien.
Plaque-tournante du commerce d’esclaves
Ces produits sont vendus jusqu’à Stone Town, une ville à la croisée des courants d’Afrique, du monde arabe et d’Inde – la culture swahilie. Son opulence était pourtant due à un sinistre commerce : Zanzibar était l’un des principaux points de vente des esclaves en Afrique, une pratique introduite par le sultan d’Oman en 1830 pour développer les plantations de clous de girofles et interdite par les Anglais en 1873.
C’est du passé. Malgré quelques inquiétudes récentes autour du covid, aujourd’hui l’île a vaincu la peur et regarde avec confiance vers l’avenir : « A Zanzibar il n’y a pas de problèmes, nous sommes comme une grande famille », s’exclame Noor, mon guide du jour. Des mots qui vont droit au cœur de la réfugiée covid.
Une version de ce reportage a été publié dans l’Echo Magazine du 9 mars 2021
Isolda Agazzi est la responsable du commerce international romand d’Alliance Sud, la coalition des principales ONG suisses de développement. Après des études en relations internationales à Genève et des voyages aux quatre coins du monde, elle travaille depuis plus de 20 ans dans la coopération internationale, en Suisse et dans les pays du Sud. Elle est journaliste RP et a enseigné à l’université en Italie. Elle s’exprime ici à titre personnel.
Félicitations pour cet excellent reportage.
Merci!
Merci pour votre article, superbement écrit et documenté.
Nous irons à Uzi la semaine prochaine !
Merci à vous et bon voyage!
Bonjour à tous.
Oui des vacances rêvées.
Pour les français qui recherche des contacts sur Uroa Beach.
Guide très sympathique qui parle en Français et s’occupe de tout.
Plus vous êtes nombreux, moins les excursions sont chères. Il s’adapte a vos besoins. Dans tous les cas, il est beaucoup moins cher que les guides dans les hotels
Johny : Whatapps +255 673 579 696 ou sur Facebook Messenger Johny Yassin.
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