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Source : JT 13h Semaine
La substance fait partie des dix les plus préoccupantes au monde, selon l'Organisation mondiale de la Santé, au même titre que l'amiante ou l'arsenic. Et pourtant, elle serait largement présente dans le thon en boîte consommé en France et en Europe. Dans une enquête publiée mardi 29 octobre, intitulée "Du poison dans le poisson", l'ONG Bloom dénonce la présence en trop grande quantité de mercure – ou de son dérivé, le méthylmercure – dans ce poisson, le plus consommé sur le Vieux continent et dans l'Hexagone.
En France, selon les chiffres de France AgriMer (nouvelle fenêtre), chaque personne consomme, en moyenne, 4,9 kg de thon par an. Et s'il est particulièrement pointé du doigt, c'est parce que la réglementation fixant la teneur autorisée de mercure dans ce poisson est bien plus élevée que pour n'importe quel autre produit de la mer : 1 mg/kg contre 0,3 mg/kg pour des espèces comme le cabillaud ou les anchois. Un chiffre défini par la Commission européenne, mais qui n'est justifié par "aucune raison sanitaire. Le mercure n'est pas moins toxique s'il est ingéré via du thon, seule la concentration en mercure de l'aliment compte", affirme Bloom.
L'ONG dénonce particulièrement les taux mesurés dans les boîtes de conserve, des produits qui contiennent "de plus importantes concentrations de mercure, car lors de la cuisson du thon, l'eau s'évapore, mais le mercure reste", explique à TF1Info Julie Guterman, chercheuse et autrice principale de l'étude de Bloom. Le problème, c'est que les normes sont définies sur le thon frais et non le produit fini. "Le mercure se retrouve ainsi deux à trois fois plus concentré dans une conserve que dans un filet de poisson frais."
Sur les 148 boîtes examinées par l'association dans cinq pays européens (Allemagne, Angleterre, Espagne, France et Italie), "100% des boîtes sont contaminées au mercure" et "plus d'une boîte testée sur deux (57%) dépasse la limite maximale en mercure la plus stricte définie pour les poissons", dénonce l'étude. Une boîte sur dix dépasse même la teneur définie pour le thon frais et un produit Petit Navire contrôlé à Paris a affiché un taux record de 3,9 mg/kg. Contactée, la société dit prendre "très au sérieux la composition et la qualité de ses produits" et réaliser "des contrôles réguliers tout au long de notre chaîne de production" afin de "garantir la sécurité de nos produits".
"En complément, des auditeurs externes contrôlent nos produits finis pour s'assurer de leur conformité avec la réglementation européenne. À ce jour, nous n'avons pas encore reçu le document mentionné à paraître, ni pris connaissance de son contenu. Dès qu'il sera mis à notre disposition, nous mènerons toutes les investigations qui s’imposeraient", indique encore Petit Navire qui rappelle que, "selon l'Anses, les niveaux moyens d'exposition au mercure liés à la consommation de produits de la mer, et plus particulièrement de poissons, n'indiquent pas de risque sanitaire dans la population générale française".
De son côté, Bloom explique ces taux de mercure dans les produits par des normes faites "sur-mesure afin d'éviter de faire chuter les volumes autorisés à la vente" et autoriser un seuil qui assure la vente de 95% des produits mis sur le marché. "Cette méthode ne prend pas en compte les conséquences sur la santé des adultes et des enfants", dénonce Julie Guterman.
Une position plutôt assumée au sein de la Commission européenne. Selon un fonctionnaire de l'institution contacté par TF1info, "les teneurs maximales en contaminants dans les aliments sont établies conformément à l'article 2 du règlement (CEE) n°315/93 (nouvelle fenêtre), lorsque l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) conclut que la présence d'un certain contaminant dans les aliments entraîne des risques pour la santé". Les teneurs maximales tolérées dans les produits sont "fixées à un niveau tel que la plupart des produits mis sur le marché peuvent les respecter, tandis que les produits présentant les concentrations de mercure les plus élevées sont retirés du marché, ce qui réduit l'exposition des consommateurs sans perturber radicalement l'approvisionnement en denrées alimentaires".
Les teneurs maximales en mercure ont été révisées en 2022 pour actualiser les données, mais celles du thon sont restées inchangées malgré les alertes sanitaires. "Les données relatives à la présence de mercure dans le thon ont montré qu'il n'y avait pas de marge pour réduire davantage la teneur maximale sur la base du principe du 'niveau le plus bas qu'il soit raisonnablement possible d'atteindre', de sorte que la teneur a été maintenue à 1,0 mg/kg", assure la Commission.
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Pour s'assurer toutefois de limiter le risque sur la santé, elle renvoie la responsabilité aux consommateurs et aux États membres, avançant avoir publié sur son site web des conseils de consommation généraux (nouvelle fenêtre) concernant le mercure. Parmi ceux-ci : ne pas consommer plus d'une à deux fois par semaine des espèces comme le thon susceptibles de contenir d'importantes quantités de méthylmercure, tout en précisant que "la consommation de poissons ou de produits de la mer variant considérablement d'un pays à l'autre […] ces conseils devront être adaptés au niveau national".
Un "lobby cynique", pour Bloom. "Il y a clairement une influence de l'industrie thonière présente dans toutes les instances de décisions dans ce secteur", dénonce Julie Guterman.
Le mercure est un poison particulièrement présent dans l'océan et facilement absorbable dans l'organisme humain. Il est considéré comme "toxique pour le système nerveux central", précise dans ses recommandations sanitaires l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) (nouvelle fenêtre). Le produit est particulièrement dangereux durant le développement d'un enfant in utero et au cours de la petite enfance. D'où les recommandations de l'Agence française qui recommande de diversifier les espèces de poissons consommés et de "limiter la consommation de prédateurs sauvages, susceptibles d'être fortement contaminés : thon, bonite, raie, dorade, loup (bar), lotte (baudroie), empereur, grenadier flétan, sabre, brochet, etc."
"On considère que la dose tolérable est de 1,3 µg de méthylmercure par semaine, à condition que l'on parte du principe qu'il est tolérable d'ingérer du poison", explique de son côté Julie Guterman. "Mais nous avons démontré dans notre étude que si l'on respecte la norme de 1 mg/kg, aucun consommateur pesant moins de 70 kg ne peut consommer une boîte de thon par semaine sans dépasser la dose de sécurité sanitaire pour le méthylmercure."
Face à ces données, Bloom s'est alliée à Foodwatch pour demander aux pouvoirs publics d'agir. Les deux ONG réclament à la Commission européenne de s'aligner sur la teneur maximale la plus stricte fixée pour les autres espèces de poisson (0,3 mg/kg), aux États membres de mettre en place une clause de sauvegarde pour interdire la vente de poissons qui dépasseraient cette limite et de le bannir des établissements sensibles comme les cantines scolaires, les crèches, les maisons de retraite, les hôpitaux ou les maternités.
Les organisations lancent également une pétition adressée aux dix plus importants distributeurs du marché européen pour prendre des mesures importantes, avec la mise en œuvre de contrôles stricts, l'interdiction à la vente de thon contaminé au-delà des 0,3 mg/kg, cesser toute publicité et promotion pour ce poisson et mettre en place un étiquetage pour informer les consommateurs des risques sanitaires. "En tant que maillon final de la chaîne de commercialisation des thons, les enseignes de supermarchés ont le devoir moral et éthique de s’assurer que les produits qu’elles commercialisent sont sains et sûrs pour la santé humaine", pointe Julie Guterman.
Contactée par TF1 et citée dans l'étude de Bloom, l'enseigne française Carrefour assure que "pour ses produits de marque propre, l'enseigne met en œuvre un plan de contrôle des contaminants, basé sur une analyse des risques et les réglementations en vigueur. Ainsi, le thon fait l’objet d'un plan de contrôle dédié, selon les normes applicables, notamment concernant le mercure". Elle précise qu'aucune "non-conformité n'a été relevée sur les conserves de thon Carrefour en France au cours des cinq dernières années" et que "la conformité des produits en matière de qualité et sécurité alimentaire est abordée dans le Plan de vigilance ainsi que dans le rapport thématique spécifique à la qualité et la sécurité des produits, publié sur le site internet du groupe". "Cependant, nous restons particulièrement vigilants face aux alertes émises par diverses ONG", souligne également le groupe.
"En tant que dernier maillon de la chaîne, [les distributeurs] ont la responsabilité des produits qu’ils mettent dans leurs rayons ", estime, de son côté, Camille Dorioz, directeur des campagnes chez Foodwatch. Et Julie Guterman de conclure : "Le thon est le poisson le plus consommé, il devrait être le plus strictement régulé. Or, ce n'est pas le cas".
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