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Les faux frères de la gastronomie (3/6). L’un, menacé, alimente les passions, l’autre remplit les conserves.
Par J.-P. Géné
Temps de Lecture 6 min.
Il y avait du sang partout. Sur les cirés des marins, sur le pont des bateaux et sur les quais. Même la mer rougissait, ce jour-là sur le port de Saint-Jean-de-Luz (Pyrénées-Atlantiques), où les thoniers débarquaient leur marée dans le vacarme des machines et les cris des hommes. Le gamin que j'étais n'a jamais oublié cette introduction sanglante à l'univers du thon rouge. Le lendemain, je n'ai pas mangé le thon en boîte – pourtant de bonne maison – servi au pique-nique, refusant d'admettre que ce poisson-là n'était pas celui qui saignait la veille sur le port. “Du thon, c'est du thon, un point c'est tout !”
A cet âge-là, on connaît mal Thunnus thynnus, le thon rouge, et Thunnus alalunga, le thon blanc ou germon. Deux lascars qui parcourent en bancs serrés mers et océans, nourrissent le monde entier et défraient régulièrement la chronique. Ils appartiennent tous deux à la famille des scombridés, ont l'instinct grégaire et fréquentent les mêmes eaux de surface, le blanc les préférant à 15-20 C°.
565 000 EUROS POUR UN SPÉCIMEN DE 269 KG
On les distingue par la couleur, le germon étant le seul de la famille des thonidés à la chair claire, presque blanche, alors que les autres ont le teint sombre. Plus petit (1,30 m et 45 kg au maximum) que le rouge, qui peut dépasser les 2 mètres et les 300 kg, il est principalement destiné à la conserverie, alors que l'autre se consomme frais. Ils sont chacun les meilleurs dans leur catégorie, mais sur les 4,5 millions de tonnes pêchées chaque année dans le monde, ils ne sont que poussière.*
Thunnus thynnus est un sanguin. Il aime la bagarre, et sortir de l'eau une pièce de 100 kg nécessite une belle partie de manivelle. Peu d'espèces suscitent autant de passion que ce thon rouge de Méditerranée, aussi recherché que menacé. Quelque 80 % atterrissent au Japon, où le toro, la ventrèche mœlleuse, est apprécié par les amateurs de sushi et sashimi. Ils sont vent debout contre les quotas et les restrictions. Celui que les Anglo-Saxons appellent bluefin tuna n'est pas insensible à l'argent. Régulièrement, une pièce atteint des prix extravagants sur le marché aux poissons de Tsukiji, à Tokyo : 565 000 euros pour un spécimen de 269 kg, en janvier 2012. Pour lui, on trafique, on triche et on viole (les quotas).
Jusqu'au début des années 2000, la pêche industrielle a prélevé sans vergogne au mépris des règles et des avis d'experts. Gros navires, gros filets et gros profits, renforcés par la contrebande. Il a fallu l'activisme des ONG (Greenpeace, WWF, etc.) et la reconnaissance comme espèce menacée par l'ONU, en 2009, pour que les instances compétentes engagent une politique de restriction des volumes de pêche, indispensable à la reconstitution des stocks menacés.
THUNNUS THYNNUS”, UN COMÉDIEN CONFIRMÉ
Jamais scientifiques et pêcheurs ne se sont accordés sur l'état de la ressource. Etudes et analyses d'un côté, savoir-faire et expérience de l'autre, la bagarre est permanente. Lorsque, au bout de vos baguettes, vous trempez ce sashimi de thon dans la sauce soja, vous ignorez tout du drame qui a précédé le service de cette délicatesse. Thunnus thynnus est en effet un comédien confirmé avec un seul titre à son répertoire : suis-je ou ne suis-je pas là ?
Sa dernière représentation durant la saison 2013 fut remarquable. La France disposait d'un quota de 2 471 tonnes, réparties en 2 199 t pour la Méditerranée et 247 t pour l'Atlantique, le reste étant pour la plaisance (25 t). Après des années de tricheries, pas question de mollir sur le règlement. Les onze thoniers senneurs qui sont partis de Sète le 20 mai pour pêcher les 1 300 t qui leur étaient allouées devaient embarquer un observateur indépendant, localiser en permanence leur position, déclarer quotidiennement le volume de leurs captures et ne débarquer que dans des ports désignés par les préfets de région en prévenant à l'avance de leur arrivée. Six patrouilleurs de haute mer, 22 patrouilleurs côtiers et 11 patrouilles aériennes avaient été mobilisés par l'Agence européenne de contrôle des pêches.
En dépit de ces contraintes, les thoniers sétois sont rentrés au port ravis, quinze jours plus tôt que prévu. Ils avaient atteint leur quota en quatre à cinq jours. Le thon rouge était au rendez-vous. “C'est bien simple : en trente ans de pêche, je n'avais jamais vu ça. Il y avait des thons partout. Et du gros poisson, en plus”, affirme Généreux Avallone, important armateur sétois, qui n'en revient pas. Après une campagne aussi rapide et fructueuse, le public, perplexe, s'interroge : le thon rouge est-il de retour, alors qu'on annonçait sa disparition pour 2012 ? Thunnus thynnus en rigole encore.
BONITE ET ALBACORE VENDUS POUR DU THON BLANC

Le thon blanc est plus taiseux. Reconnaissable à la longueur de ses nageoires ventrales (alalunga) et présent dans toutes les mers, Thunnus alalunga n'a jamais cherché la polémique. Dédaigné avant l'invention de la conserve, il était salé grossièrement à bord des bateaux, coupé en tranches et mariné dans l'huile ou le vinaigre pour les gens du littoral. Sa vie a changé après l'invention d'Appert et la multiplication des conserveries alimentées par la pêche industrielle.
En 2010, le marché français de la conserve de thon représentait 112 000 tonnes et plus de 50 % des volumes d'achat de produits aquatiques en boîte. L'interdiction, en 1998, du filet maillant dérivant ayant sonné le glas de la pêche au germon, le millier de tonnes débarquées bon an mal an dans les ports français ne suffit pas à la demande. La mondialisation y remédie. Nous importons environ 100 000 tonnes de conserves par an. Il en arrive de partout : 18 000 tonnes d'Espagne, 19 000 tonnes de Côte d'Ivoire, 13 000 tonnes des Seychelles, 12 000 tonnes d'Equateur (Agrimer). De toutes les espèces et sous toutes les formes.
Selon une étude de Greenpeace (2010), 30 % de ces conserves testées dans une douzaine de pays étaient mal étiquetées ou contenaient des espèces différentes, voire plusieurs espèces mélangées. Au premier rang, le listao ou bonite à ventre rayé (Katsuwonus pelamis), qui n'est pas vraiment un thon mais qui y ressemble et qui abonde dans les eaux tropicales. Il est suivi par l'albacore, yellowfin pour les Anglo-Saxons, aussi familier des tropiques. A eux deux, ils représentent 85 % du volume de la pêche et l'essentiel du carburant de la conserverie industrielle.
AROMATES ET SAUCES POUR LA SECONDE QUALITÉ

Beaucoup de ces produits vendus pour du thon blanc sont destinés à l'agroalimentaire. Ils finissent en miettes dans les salades et autres plats préparés, mais on les trouve aussi en grande surface. Témoin, cette nouvelle gamme lancée par Saupiquet “Pour un été tout en couleur”. En cherchant bien, on découvre que ce “thon entier cuit à cœur au naturel” annoncé sur le couvercle est de la bonite (listao, 57 %). Sans compter que le propre du thon au naturel est justement de ne pas être cuit.
Rien n'est plus simple que cette conserve. Acheté frais et entier, le germon doit passer une nuit au froid pour raffermir. Il est ensuite paré à la main, le ventre réservé pour les filets et le reste découpé en tronçons de la taille du contenant choisi. Désarrêté, rincé dans la saumure, emboîté et recouvert d'eau salée, il est serti et stérilisé. C'est ainsi qu'il est le meilleur, et les gens du métier savent bien que les épices, aromates et autres sauces ne servent qu'à donner du goût à une matière première de seconde qualité. En sashimi ou en boîte, le rouge et le blanc s'apprécient nature.
Prochain article : les lentilles.
J.-P. Géné
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