Tofu de foie gras et son jus de canard, foie gras grillé au charbon et pousses de bambou au sanshô (un poivre du Japon), radis blanc confit et foie gras de canard poêlé parfumés au yuzu (un agrume asiatique)… les recettes en témoignent : les Japonais raffolent du foie gras et savent le mettre à leur sauce.
Jocelyn Deumié, qui vante les mérites de ce produit de luxe dans l’archipel, est bien placé pour le savoir. Carrure athlétique, léger accent chantant, ce jeune Toulousain d’origine est chef exécutif chez Rougié, société installée à Sarlat, en Dordogne, leader…
Jocelyn Deumié, qui vante les mérites de ce produit de luxe dans l’archipel, est bien placé pour le savoir. Carrure athlétique, léger accent chantant, ce jeune Toulousain d’origine est chef exécutif chez Rougié, société installée à Sarlat, en Dordogne, leader sur le marché nippon. Au Japon, il initie au foie gras dans les écoles de cuisine, présente aux chefs les différentes techniques de cuisson et de préparation, organise des dégustations et détaille les méthodes de production hexagonales. « Le foie gras est associé à l’image de la France, dit Jocelyn Deumié. Il a en plus l’avantage de s’adapter parfaitement aux ingrédients japonais, tels le champignon shiitaké, l’algue kombu, le dashi – un bouillon de kombu et de bonite séchée à la base de la cuisine nippone – ou encore le saké. »
Il cite, par exemple, le chef français Stephan Pantel, à Kyoto, qui s’est distingué avec un mariage audacieux : un foie gras confit accompagné d’une touche de fruits exotiques et enrobé de… narazuke. « Le narazuke est une sorte de légume mariné dans le riz qui a servi à la fermentation alcoolique du saké », raconte Stephan Pantel, qui officie à la Ryoriya, à deux pas du Parc impérial. « Il a un goût un peu spécial, très fort, très alcooleux. J’ai mangé un jour un daikon, un radis blanc, préparé de la sorte, et j’ai tout de suite pensé que cela irait bien avec du foie gras. Ma femme, japonaise, s’est moquée, mais c’est aujourd’hui un grand succès. »
« Le Japon est l’un des rares pays qui ont réussi à introduire le foie gras dans leur propre cuisine », enchaîne Paulin Rio, responsable commercial de Rougié à Tokyo. Ce n’est donc pas un hasard s’il en est devenu le premier importateur au monde. « Il achète environ 1 100 tonnes, dont 600 viennent de France et 500 de Hongrie », reprend Paulin Rio.
Mais, avec la récente découverte de foyers d’influenza aviaire dans le Sud-Ouest, les frontières se sont brusquement fermées. « Le Japon a interdit les importations de volailles et de produits issus de la volaille française dont la production est postérieure au 23 octobre », a déclaré un responsable du ministère japonais de l’Agriculture. La date a été choisie en prenant en considération la période de vingt et un jours d’incubation de la maladie ; les produits fabriqués et emballés auparavant pourront continuer d’être importés.
Dans l’archipel, la période des fêtes de fin d’année est pourtant propice à la consommation de foie gras. « De façon traditionnelle, Noël n’est pas célébré en famille. Mais cela reste un moment festif où les gens se rendent au restaurant. Et beaucoup de menus spéciaux proposent du foie gras », précise Nadège Audéon-Dmitriev, responsable du marketing de Rougié au Japon. Et de rappeler que la capitale nippone compte 160 000 restaurants, contre 200 000 dans toute la France.
Alors, y aura-t-il du foie gras à Noël au Japon ? « Oui, aucun problème, assure Paulin Rio. Grâce au foie gras surgelé, nous avons déjà notre stock pour les fêtes. » La technique de la surgélation a commencé à être utilisée dans les années 1980-1990. « Elle intervient en France dans les deux heures qui suivent le retrait de l’animal, ce qui permet d’avoir au Japon un produit très proche d’un foie gras frais, explique Paulin Rio. Alors que la congélation est une descente en température beaucoup plus lente qui altère les cellules du produit. »
C’est d’ailleurs grâce à la surgélation que le foie gras s’est vraiment développé au pays du Soleil-Levant. Les Japonais, peu friands de foie en conserve à déguster sur un morceau de pain, préfèrent un produit frais, souvent servi chaud, poêlé, avec de la viande. Mais il faut compter une semaine pour un acheminement par avion vers l’archipel. « Le foie gras a le temps de maturer, il fond et son goût est beaucoup plus fort, note Paulin Rio. Avec la surgélation, on peut l’expédier par bateau, ce qui est moins onéreux, et préserver sa qualité d’origine. En plus, le produit cru permet au chef de s’exprimer. Aujourd’hui, 80 % du foie gras importé de France est surgelé. »
Les nouvelles restrictions suscitent toutefois des inquiétudes. « Je suis en train de trier mes clients pour savoir lesquels je vais servir, j’évite de répondre aux commandes de nouveaux interlocuteurs, pour pouvoir satisfaire mes habitués », déclare Bernard Anquetil, chef et directeur commercial des produits de cuisine de French F & B Japan Co. « C’est sûr que certains chefs vont en profiter pour passer au foie gras hongrois », ajoute-t-il.
Si la crise perdure, la rupture de stock se profilera vers mars. Un mois qui marque la fin de l’année civile au Japon et ouvre la saison des mariages, d’avril à juin. C’est une autre période importante pour la consommation de foie gras. « Étant donné que chaque personne invitée à un mariage paye plusieurs centaines d’euros, les mariés doivent en retour offrir un repas d’exception, détaille Paulin Rio. Ils sont obligés d’avoir des produits considérés comme très haut de gamme et le foie gras en fait partie. » « Les menus pour les maisons de mariage sont faits une fois par an seulement, alerte Bernard Anquetil. Si le foie gras n’est pas disponible en mars, il sera retiré des cartes pendant longtemps. »