Illustration Tu mitonnes daurade COMMANDE N° 2017-1264 (Photo Emmanuel Pierrot)
Photo animée Emmanuel Pierrot
Il paraît qu’on peut nager parmi les daurades. Il paraît. Perso, ça ne risque pas de nous arriver. Déjà que l’on nage comme une clé à molette ; en plus on est miraud comme une taupe dans l’eau. Et puis il faut dire, qu’étant né plus près de Morteau que de Brest, c’était pas gagné de faire chonchon avec les poissons de mer.
Nous, c’est la carpe, le gardon et la truite qui nous ont formaté les papilles. Avec quelquefois de beaux atours de la bectance de rivière comme le brochet mayonnaise aussi solennel qu’une communion sur son plat en inox et la pôchouse. On sait, vous allez dire, c’est quoi donc ça la pôchouse ? (Appuyez bien sur le «ô», s’il vous plaît). Vous êtes pardonnés d’avance de votre ignorance car il faut être né entre Doubs et Saône pour connaître ce monument dédié au brochet, à la perche, à l’anguille, à la tanche dans une sauce au vin blanc avec de diaboliques croûtons à l’ail… C’est sûr, un jour on ira à Verdun-sur-le-Doubs, épicentre de la pôchouse pour vous en raconter la saga gourmande.
Côté mer, on a été à très mauvaise école sur le poisson. C’était la punition du vendredi, «jour maigre», imposé par les curés. Soit dans l’assiette, un affreux morceau de poiscaille détrempé dans un court-bouillon infâme ou sec comme une poignée de coton hydrophile. On nous disait que c’était du cabillaud mais pour nous ça aurait pu être de la chèvre salée ou du manioc, c’était kif-kif bourricot. Le seul poissonnier du canton n’était guère plus convaincant. Quand on lui désignait un poisson, il répondait invariablement : «Il est très bien, c’est aussi tendre que du filet de bœuf.» Va donc savoir pourquoi il n’était pas boucher, cet homme qui ramenait sans cesse son colin à la bidoche. Mais, ce qui nous questionnait encore davantage chez lui, c’est qu’été comme hiver, il avait des boules de coton dans les oreilles ; on en avait conclu qu’il devait être frileux des esgourdes au milieu de ses étals de glace pilée.
Mais comme la géographie est moins conne que mézigue, elle nous a appris, qu’habitant au pays de la cancoillotte, on trouverait sûrement plus notre bonheur avec des poissons salés et fumés qu’avec leurs collègues rescapés d’une marée au long cours et donc plus au moins frais. C’est ainsi que l’on s’est converti au Porto blanc et à la morue bacalhau rapportés en direct du bled par un aminche portugais, pas peu fier de son Opel Rekord. On a aussi découvert le bonheur du bouffi, ce hareng salé et fumé, qui sur une belle braise embaumait la forêt à l’heure de l’affouage.
La véritable révélation du poisson de mer est venue un jour d’azur en Méditerranée quand une ligne indolente ramena quelques bonites, vite grillées sur un barbecue en terre, accompagnées de tomates, d’oignons blancs et d’un fût d’arak. La franchise et la simplicité en cuisine ne supportent pas les fâcheux et les vaniteux, c’est encore plus vrai dans le poisson qui n’est jamais aussi bon qu’au cul du bateau et sans artifice. C’est pourquoi on se régale de l’inspiration, entre ciel et mer, d’Alexandre Couillon, le chef doublement étoilé de la Marine à Noirmoutier. Dans son bistrot comme dans son restaurant gastronomique, il accompagne plus qu’il n’accommode le poisson au firmament de ses goûts et de ses textures. Il y a du voyage initiatique dans son antre, à deux pas du port de l’Herbaudière.
Avec la complicité de notre aminche Emmanuel Pierrot, on célèbre cette semaine la dorade. Mariez-la avec le sel comme dans cette recette de «dorade grise, croûte de sel gris» dénichée dans le très beau Cuisiner la mer, 70 espèces et 90 recettes du chef breton Gaël Orieux (1). Pour quatre personnes, il vous faut une dorade grise de 1,6 kilo ; 3 kilos de gros sel gris ; 2 blancs d’œufs. Videz la dorade grise sans l’écailler. Mélangez le gros sel gris et les blancs d’œufs. Sur une plaque, disposez du papier sulfurisé et la moitié du gros sel gris. Déposez par-dessus la dorade grise et recouvrez avec le reste du gros sel gris. Formez une belle croûte bien hermétique. Faites cuire au four à 200 degrés pendant environ 45 minutes. Sortez la dorade grise du four, attendez dix minutes et servez.
Vous pouvez aussi tenter cette recette de «daurade rose à l’huile, au citron et aux olives» de notre fidèle Cuisine de Vefa, une valeur sûre de la gastronomie grecque (2). Il vous faut quatre filets de daurades roses ou d’autres poissons blancs, de 175 g chacun ; de la farine pour les filets ; 2 cuillères à soupe d’huile d’olive ; quelques pousses d’épinard ou feuilles de salade, pour servir ; quelques rondelles de citron, pour décorer ; sel et poivre. Pour la sauce : 130 g d’olives Kalamata dénoyautées et hachées ; 4 cuillères à soupe d’huile d’olive ; 2 cuillères à soupe de jus de citron fraîchement pressé ; 1 gousse d’ail finement hachée ; 1 petit piment rouge séché et écrasé ; sel et poivre. Préparez la sauce : mettez tous les ingrédients dans un bocal, salez et poivrez. Fermez et secouez vigoureusement pour bien mélanger. Otez toutes les arêtes des filets de poisson avec une pince à épiler. Salez, poivrez, puis farinez-les et secouez-les pour éliminer l’excédent. Chauffez l’huile d’olive dans une sauteuse. Mettez-y deux filets et faites-les dorer quatre minutes par face. Sortez-les à l’aide d’une écumoire et réservez-les au chaud pendant la cuisson des deux autres filets. Pendant ce temps, mélangez les pousses d’épinard ou les feuilles de salade avec un peu de sauce et répartissez-les dans des assiettes de service. Disposez un filet de poisson sur chaque lit de verdure, arrosez avec la sauce restante et servez décoré de rondelles de citron.
La daurade peut aussi inspirer un plat complet avec par exemple cette recette de «daurade aux pommes de terre au four» dénichée dans la Cuisine d’Espagne et du Portugal (3). Pour quatre à six personnes, il vous faut deux dorades d’un kilo nettoyées mais avec leur tête et leur queue ; une cuillère à café et demi de sel ; un citron coupé en six quartiers ; 2 petites olives noires ; un demi-bol de chapelure de mie de pain passée au mixer ou émiettée à la fourchette ; une cuillère à café d’ail finement haché ; une cuillère à soupe de persil finement ciselé ; 2 cuillères à soupe de paprika ; 3 pommes de terre moyennes épluchées et coupées en rondelles de cinq millimètres ; du poivre noir fraîchement moulu ; un quart de litre d’eau et 10 cl d’huile d’olive. Faites chauffer votre four à 175 degrés. Lavez les poissons sous l’eau courante froide, épongez-les avec des serviettes en papier pour les sécher à l’extérieur et à l’intérieur. Saupoudrez d’une cuillère à café de sel et rangez-les côte à côte sur une planche ou une assiette. A l’aide d’un couteau pointu, faites à la surface de chacun trois incisions parallèles d’environ un demi-centimètre d’épaisseur sur cinq centimètres de long et espacées de trois à quatre centimètres à travers les poissons. Enfoncez dans chaque incision un quartier de citron, l’écorce sur le dessus. Enfoncez une olive noire à la place des yeux. Dans un bol, mélangez la chapelure, le persil, l’ail et le paprika. Disposez régulièrement les rondelles de pommes de terre au fond d’un plat à gratin. Saupoudrez avec le sel, qui reste et un peu de poivre et disposez les deux poissons par-dessus, côte à côte. Versez l’eau sur les côtés et l’huile sur le poisson. Saupoudrez avec le mélange de chapelure et de condiments. Faites cuire au centre du four, pendant trente minutes. Le poisson doit rester ferme sous la pression du doigt et les pommes de terre doivent être cuites. Servez aussitôt dans le plat de cuisson.
(1) Cuisiner la mer, 70 espèces et 90 recettes de Gaël Orieux. Rédaction de Julien Bouré, photographies de Jean-Claude Amiel (éditions de La Martinière, 2016, 45 euros).
(2) La cuisine de Vefa (éditions Phaidon, 2011, 39,95 euros).
(3) Recettes : la cuisine d’Espagne et du Portugal (éditions Time-Life, 1970).
© Libé 2022
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