A la table de vente du « Chipiron II », on peut s’offrir du merluchon à 6 ou 8 € le kilo. À celle du « Toune », de la bonite à 14 € le kilo, de la dorade, du merlu, des araignées vivantes ou encore de la rascasse à 8 € le kilo. Il y a du chinchard à 4 € le kilo au « Joker II ». Mais la plupart des étals sont vides en ce début de matinée sur le port de pêche de Capbreton . « Il y avait trop de houle, ils ne sont pas sortis hier », y commente-t-on.
« Ils », c’est l’essentiel de la flotille qui est en mer à cet instant précis. Il faut attendre 11 heures et le retour à quai de « L’Arc-en-ciel » pour que des caisses…
« Ils », c’est l’essentiel de la flotille qui est en mer à cet instant précis. Il faut attendre 11 heures et le retour à quai de « L’Arc-en-ciel » pour que des caisses de poulpes, de tourteaux et de homards soient débarquées sur le ponton par l’équipage de Franck Duhaa, parti à 5 heures du matin. Un par un, les artisans-pêcheurs du port landais vont se présenter dans le chenal . Les tables de vente rouvriront dans l’après-midi.
C’est comme ça que ça marche à Capbreton. Suivant un usage désigné sous la formule vieillotte « à la pierre du quai » , les pêcheurs du cru peuvent pratiquer la vente directe de leur marée, sans passer par la criée de Saint-Jean de Luz/Ciboure. Au cul du bateau. « Cette dérogation à la règle communément appliquée provient d’un décret du XVIIe siècle établi par Jean-Baptiste Colbert, ministre de Louis XIV », rapporte la MACS, la Communauté de communes Maremne Adour Côte-Sud qui gère le port.
Dix-neuf étals sont ainsi alignés en bordure de quai, chacun portant le nom du navire correspondant . « Sirius », « L’Accalmie », « Le P’tit Loup », « Le petit Prince » etc. Quand ils sont tous réunis pour vendre le contenu de leurs filets, ça fait du bruit.
Président du comité régional des pêches maritimes de Nouvelle-Aquitaine, Patrick Lafargue a longtemps fait usage de sa grosse voix sur le « Crésus », le plus gros bateau de pêche de Capbreton . Après trente-trois ans de métier, il a passé la main à ses fils. Ardent défenseur du (seul) port landais, il souligne les vertus de la vente directe. « Il y a 19 bateaux, il faut des équipages et du monde pour la vente . On fait travailler une centaine de personnes. La qualité de nos produits est reconnue par les touristes, par les locaux, comme par les restaurants. On anime les lieux. Si la pêche s’arrêtait, il n’y aurait plus rien ici . Dites-le bien : un port de pêche n’est pas délocalisable », appuie-t-il.
Les marins-pêcheurs de Capbreton ne se gênent pas pour agiter l’étendard des circuits courts, plutôt porteur auprès de l’acheteur en short et tongs assorties . « Du pêcheur au consommateur », proclame un panneau. « Poissons sauvages pêchés par le bateau », lui répond un autre à quelques mètres de distances. « Vente directe », insiste un troisième. Le poisson est présenté entier, ce qui renforce l’authenticité de la démarche.
Celle-ci plaît d’autant plus que la fraîcheur du produit est incontestable , loin des standards du commerce à la mode Ordralfabétix. Les prix ? « On est en été, ça monte à cause des touristes », grogne une « locale », son panier à la main. « On reste très compétitif par rapport à tous les points de vente des environs, grandes surfaces y compris », tempère Patrick Lafargue.
Au vu des files d’attente qui se forment sagement devant les tables, le consommateur a l’air d’accord. Pour beaucoup, l’achat du poisson au cul du bateau tient du rituel estival . Ca fait des histoires à raconter au bureau à Paris, devant la machine à café. S’ils avaient l’occasion de revenir faire un tour à la morte-saison, les vacanciers auraient peut-être plus de choix. « Dès que les eaux se réchauffent, le poisson s’échappe. Il va plus profond, plus loin », indique le porte-drapeau de la profession.
Il énumère sans rechigner la longue liste des espèces qui se retrouvent à portée de fourchette. Toutes les déclinaisons de dorades – à commencer par la daurade royale – les soles et leurs cousines, les merlus, les grondins, les bars mouchetés ou non… Selon lui, le golfe de Gascogne a de la ressource, loin des discours alarmistes sur les stocks halieutiques. « De la bonite, on en pêche toute l’année. Le merlu, on mettrait des coups de pied dedans tellement il y en a… »
On n’est pas sûr que, sous la surface des eaux, on ait besoin tant que ça des conseils de Bison Futé pour fluidifier le trafic. Mais Capbreton est un spot béni pour son « gouf » , l’extrémité d’un long et profond canyon sous-marin qui entaille le plateau continental vers le large et qui plonge à quelques centaines de mètres à peine du rivage . La diversité des fonds est favorable à la prolifération des espèces.
Ceci étant, il ne faut pas s’attendre à une prolifération corrélée de ceux qui les pêchent. Au port de Capbreton, les générations se renouvellent et c’est déjà pas si mal .
À 23 ans, Marie Biarrotte vient d’acquérir le « Point Barre », une petite embarcation rapide avec laquelle elle va sillonner les eaux, de Saint-Jean-de-Luz à Contis. « Mon père possédait “ Le Toune ”. Je suis née dans une famille de pêcheurs , j’ai toujours baigné là-dedans, j’ai fait moi aussi la vente du poisson avant de partir en mer », sourit la jeune femme.
Patrick Lafargue acquiesce. Le directeur du Comité régional n’a pas peur de le dire, « on peut vivre très bien de la pêche » . Et profiter du point de rencontre du port de Capbreton pour parler du métier aux gens de terre, qui n’ont qu’une idée très vague du quotidien de ceux qui attrapent le poisson. Invisibles, tout là-bas au large.