Rachidi Mohamed dit Cheikh Namous. 101 ans, doyen des artistes … – El Watan

Suite au décès, à l’âge de 101 ans, lundi, du doyen des artistes algériens, cheikh Namous, le maître incontesté du banjo, à titre d’hommage, nous reproduisons son portrait brossé le 30 janvier 2020 dans El Watan par le journaliste Hamid Tahri.
«La bonne musique ne se trompe pas et va droit au fond de l’âme chercher le chagrin qui nous dévore.»
(Stendhal)
Cela fait des années qu’on ne l’avait pas revu. Aujourd’hui, il est sur le point de boucler ses 101 ans, qu’il a traversés, cahin-caha, mais toujours la muse en bandoulière.
Artiste jusqu’au bout des ongles, il compte sûrement parmi les banjoïstes et les guembristes les plus doués que l’Algérie a enfantés. Il l’est toujours, même si l’emprise de l’âge déploie ses ailes lourdes et solde ses séquelles inévitables.
Depuis notre dernière rencontre, qui date depuis plus d’une décennie, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts d’El Harrach, quartier qu’il habite depuis plus de soixante ans !
Dans son minuscule appartement à Diar El Djemâa où il nous reçoit en ce mercredi 29 janvier 2020, cheikh Namous s’excuse d’emblée de ne pas avoir à sa portée son légendaire banjo. Qu’à cela ne tienne.
Le vieux guember qu’il manie tout aussi bien est là pour nous offrir des moments langoureux qui nous renvoient à un passé regretté !
Sa santé ? A part quelques douleurs au genou qu’il a réussi à dompter grâce à la médecine traditionnelle et les effets revigorants de l’huile d’olive, tient-il à préciser en enchaînant avec un rire contagieux : «Vous savez, ce sont sans doute les conséquences néfastes des longues soirées qu’on animait jusqu’au petit matin avec El Hadj El Anka. On ne tenait compte ni du sommeil, ni de l’humidité, ni de la fatigue. La passion l’emportait sur tout.»
Puis Cheikh Namous de révéler qu’il avait l’oreille musicale : «J’écoutais beaucoup et je n’hésitais pas à chiper ce qui me plaisait et que je gardais jalousement. C’est comme ça que j’ai développé mon répertoire aux côtés de Kaddour Cherchalli, notamment.»
Fils unique, cheikh Namous est né à Soustara en mai 1920 à Dar Bonita, ainsi dénommée parce que son propriétaire, poissonnier, vendait de la bonite à la pêcherie.
Namous a obtenu son certificat d’études en 1933 à l’école Sarouy. Sa famille est ensuite descendue à Zoudj Ayoune, où l’ambiance, malgré la pauvreté, était joyeuse. «Il y avait des artistes, des sportifs comme Bob Omar le champion de boxe qui habitait avec nous et dont la mère, Khalti Doudja, a vécu 108 ans.»
Virtuose du banjo
C’est le meilleur «bonjoïste» de tous les temps. Hadj El Anka ne s’est pas trompé. Il aura été parmi les premiers à inclure, à travers ce virtuose, cet instrument dans son orchestre. El Hadj, dans sa recherche de l’harmonie instrumentale absolue, s’était aperçu que les sons du banjo et du mandole étaient faits pour s’entendre.
Ce mariage, insiste-t-on, n’a pu se réaliser qu’avec des musiciens d’accompagnement qui avaient le don de maîtriser à la fois la rigueur musicale et les subtilités de l’improvisation. «L’interprète du chaâbi, instinctif, est entraîné malgré lui à surfer sur le quart de note pour aller fouiller au plus profond des variations», relève un musicologue. En accompagnant le grand maître du chaâbi, Cheikh Namous a sans doute grandement contribué à l’essor de ce genre musical.
Cheikh Namous ? Pourquoi un gars si attachant, si agréable, a-t-il été affublé d’un tel sobriquet ? «C’est quelqu’un de mon quartier, un certain Benyahia, parti par la suite en France, qui m’a accolé ce surnom. Peut-être parce que j’aimais plaisanter. J’étais virevoltant, j’étais partout. Depuis, on ne me connaît que sous ce nom. Je me suis battu pour m’en débarrasser, en vain. Après tout, me suis-je dit, il y a Rezki Chitane, c’est plus dévalorisant, non ? Cela dit, ‘‘Namous’’ m’a causé des problèmes. Un jour, j’allais enregistrer à la station de la Radio à la rue Hoche.
Quelqu’un est venu m’importuner en clamant et en ironisant sur mon surnom. Une bagarre éclata. Dahaoui, l’un des responsables de la radio, a vu la scène. Il me rassura : ‘‘Ne t’en fais pas. Ce surnom n’est pas une injure, lorsqu’il déferlait dans une contrée, Sidna Djabraïl et ses troupes se faisaient aussi appeler Namous.’’ Depuis, je m’en suis accommodé et je ne me sens pas plus mal», reconnaît-il avec une pointe d’humour. Plus sérieusement, Namous à l’état civil est Mohamed Rachidi, né le 14 mai 1920 à La Haute-Casbah. Il a quitté les bancs de l’école pour le monde du travail.
Il exerce comme livreur chez Baranès. Les fins de journée, il les passait au café du quartier. «Et là, Mustapha Lavigerie, qui jouait fort bien de la guitare, me disait : ‘‘Ched el mizan y a djedek’’, et moi, tout ouïe, je m’amusais à taper sur la table avec mes mains. Je me suis payé un guembri à 20 F. C’est comme ça que je suis entré dans le monde de la musique», se souvient-il en évoquant les réticences de son paternel qui a fini par s’y faire.
Comme il n’était pas bien rémunéré, il quitte la livraison pour le métier de receveur de bus au sein de la société Lambrosi. «On faisait la ligneAlger-Béjaïa-Skikda-Constantine, puis Batna-Biskra avec retour sur Alger par Bou Saâda. On gagnait 20 F par jour.»
La Seconde Guerre mondiale a mis un terme à cette aventure avec la réquisition de tous les bus. Namous est recruté comme bagagiste chez Air France.
Ses économies lui permettent de se payer un banjo à 400 F. «Avec cet instrument, j’ai pu me frayer une place dans l’orchestre de Abderrahmane Sridek, mais l’apothéose aura été sans doute ma rencontre avec El Hadj El Anka.»
Mémorable Koléa
Parmi les faits marquants qui ont une place privilégiée dans sa mémoire, d’abord la fête de mariage animée à Koléa aux côtés d’El Anka en 1941. «Je me trouvais du côté de Bab J’did, au café de Omar Boukas.
Quelqu’un jouait de la guitare et à qui j’ai arrangé les cordes en osant quelques airs fort appréciés. El Hadj qui passait par-là a été informé. ‘‘Nous avons un jeune qui a une belle plume’’, lui avait-on annoncé. Il ne m’a pas oublié, puisque je me suis retrouvé avec lui lors d’une soirée à Koléa en 1941.
Ce jour-là, les joueurs de tar et de derbouka avaient fait faux bond. Surpris mais nullement désemparé, El Hadj m’a dit : ‘‘Laisse le banjo et prends mon mandole, moi je prendrai le tar.’’ Sans doute s’est-il souvenu de sa tendre jeunesse lorsqu’il évoluait avec cet instrument sous la férule du Cheikh Nador. Au summum de sa forme, El Hadj avait interprété El Wafat (La mort du Prophète) qui avait ému aux larmes toute l’assistance. C’est un événement qu’on n’oublie pas.»
Le deuxième fait, c’est lorsque, dans les années 60, il a acheté un vieux guember à Djamaâ lihoud à un prix dérisoire.
Il se perfectionna tellement dans cet instrument qu’il en devint un maître incontesté. «En 1978, je suis passé à la télévision sous la direction du regretté Lahbib Hachelaf. J’étais vêtu d’une djellaba et coiffé d’une chechia stanboul.
Avec le guember, j’avais séduit tout le monde. L’émission a même été diffusée au Maroc et nos voisins de l’Ouest pensaient que j’étais un des leurs qui se sont distingués avec cet instrument. Ma prestation était tellement aboutie que j’ai reçu les félicitations du roi Hassan ll rapportées par les membres d’une délégation de haut rang.»
Namous tracera son chemin en côtoyant des noms de l’envergure de Sananou, Aziouez Lebhiri, Abderrahmane Zerdi, Rezki Benichou, Bouchiba, El Hadj M’rizek, El Hadj Menouer, Cheikh Marokène, sans oublier Cheikh El Kourd de Annaba qui a chanté de manière sublime Ahmed Bey.
Patron de l’orchestre kabyle
Au début des années 50’, Namous intègre la station kabyle de la radio sous la direction de Cheikh Noureddine. «Un artiste complet qui s’est sacrifié corps et âme pour l’art et la culture et qui m’a mis le pied à l’étrier avant de me titulariser en 1953. J’ai également accompagné Moh Seghir Laâma dans toutes les fêtes familiales à La Casbah.»
A ce propos, Namous cite une anecdote  : «A la fin des concerts de chant, Moh Seghir me glissait une petite somme dans la main. ‘‘Que veux-tu, c’est la fête des orphelins’’, se justifiait-il. Et comme cela se reproduisait souvent, j’ai fini par m’insurger. ‘‘Il faudra bien un jour qu’on anime des fêtes où il y aura des parents ? Trop, c’est trop’’.» A l’indépendance, Namous se fera un plaisir de répondre aux sollicitations d’El Ankis, de Amar Laâchab et surtout Dahmane El Harrachi «que j’ai lancé dans le banjo. Nous sommes devenus inséparables. N’oubliez pas que je suis harrachi et j’habite Diar El Djemaâ depuis 1961.» Guerouabi, Zahi et les chanteurs kabyles faisaient aussi partie de son répertoire.
Namous, qui avait ouvert une école de musique au lendemain de l’indépendance, s’enorgueillit d’avoir formé une kyrielle de jeunes. Il citera quelques-uns d’entre eux : Sid Ahmed Benmerad, Mustapha Touati, Boutoutou…
Il n’omettra pas de parler de ses amis, adeptes du même instrument et qui comptent parmi les plus doués de sa génération. Bouhraoua Abdelkader, dit Kaddour Cherchali et Mohamed Kabour, dit Tailleur. Il y avait une saine concurrence et de la place pour tout le monde. Mehdi Tamache, le plus ankaoui des disciples d’El Hadj, ne tarit pas d’éloges sur son aîné.
Le doyen des musiciens
«En parlant de cheikh Namous, je suis envahi par la nostalgie tant cet artiste a marqué la musique algérienne. Cheikh Namous est un artiste incontournable dans le genre chaâbi. J’ai connu Cheikh Namous dans les années 70’, alors que j’étais à mes débuts dans la chanson. Il m’a beaucoup aidé et orienté dans ma progression. J’ai eu l’honneur d’animer des soirées en sa compagnie ainsi que des galas. Que ce soit au guember ou à la kouitra, Cheikh Namous était irremplaçable. Avec Tailleur et Cheikh.
Namous, l’orchestre chaâbi était assuré de réussir l’animation. Ce monument de la musique est un exemple de longévité et de modestie.» Pour M. Merzak, élève de Hadj El Anka et connaisseur averti de la chose chaâbie, «Namous fait incontestablement partie de la génération d’avant-guerre qui a porté haut l’étendard de ce style musical dans les moments difficiles». Le banjo, faut-il le préciser, est cet instrument ramené par les Américains en Algérie lors du débarquement des alliés en Afrique du Nord.
«Pour le banjoïste, explique Merzak, tout est question de doigté, de ‘‘chtara’’. Namous avait ce don de rendre la musique claire et chavirante surtout dans les ‘‘istikhbarate’’.» Il est vrai que les années 70 ont vu l’émergence d’un autre prodige, en l’occurrence Naguib, le petit chouchou d’El Anka que les plus grands de l’époque s’arrachaient. Naguib, au grand dam de ses admirateurs, a brutalement mis fin à sa prodigieuse carrière.
Le virtuose a marqué de son empreinte la nouvelle vague de banjoïstes qui frappaient à la porte et qui ont pour nom : les frères Mohamed et Djamel Chelal, Khaled Akboudj, Smaïn Bentayeb, Mimidou et P’ti Moh. La qualité et le talent étaient de rigueur avant. «Aujourd’hui, il y a profusion de talents, mais peu de virtuoses», note sévèrement notre interlocuteur.
Quel est l’avis de cheikh Namous ? Avec l’avènement du raï, qui s’est propagé rapidement, le chaâbi a certes connu un recul, mais il est toujours présent et ne mourra jamais, même si les artistes peu considérés ont tendance à se décourager. «Toute ma vie je l’ai consacrée à l’art. En fin de parcours, je me retrouve avec une retraite de 10 000 DA. Pensez-vous qu’avec cette somme on peut vivre décemment ? C’est tout le drame de l’artiste qui éclaire comme une bougie et qui finit par se consumer souvent dans l’indifférence et l’oubli, hada hal echeikh…» 
Parcours 
Cheikh Namous est né le 14 mai 1920 à La Casbah où il a grandi. Très tôt, il est attiré par la musique. Il tâte du mandole avant de devenir un virtuose du banjo. Sa première «sortie» artistique se fera à Koléa en 1941 avec El Hadj M’hamed El Anka. Il côtoiera les grandes figures de ce style musical.
Il accompagnera El Ankis, Dahmane El Harrachi, Guerrouabi, Ezzahi, Hacène Saïd, Laâchab… Il fera plusieurs métiers, mais sa passion restera braquée sur la musique.
Il intégrera la radio kabyle avec cheikh Noureddine. Et lorsque ce dernier s’orientera vers le cinéma au début des années 1960, c’est Namous qui sera chef d’orchestre de musique kabyle.
A ce titre, il verra défiler les Cherifa, Yamina, Djida, Djamila, Taleb Rabah, Abdiche Belaïd, Akli Yahiatène, Arab Ouzelague et bien d’autres.
A 100 ans, Namous goûte à une paisible retraite parmi les siens. Namous est père de 14 enfants et a 84 petits-enfants. Il vit dans un modeste appartement à Diar El Djemaâ à El Harrach.Sa demande de bénéficier d’un appartement plus spacieux datant de quatre décennies est restée, hélas, lettre morte !


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