Un plat, ça n'est pas juste des aliments assemblés, dit-il. Mais une histoire, faite de bons produits, d'hommes et de racines. Thierry Marx raconte la sienne à Genève jusqu'à samedi.
Le chef doublement étoilé investit les cuisines du Café Calla, du Mandarin Oriental de Genève, jusqu'à demain.
Le grand chef Thierry Marx a quitté pendant une semaine les fourneaux du Mandarin Oriental parisien pour celles de son homologue genevois. Une résidence helvétique où il arrive avec des plats signatures, nourris de sa rencontre avec le terroir suisse.
Je pourrais arriver avec tous les ingrédients et faire la cuisine que je fais à Paris. Ça n'est pas ma façon de travailler. A ma première expérience en Suisse, je ne la connaissais pas. Pour s'aimer, il faut se connaître, se faire confiance. J'ai appris à aimer la Suisse. Je suis allé au marché, j'ai rencontré des producteurs. Une recette, ça n'est pas seulement des aliments assemblés, c'est une histoire que l'on raconte, faite de producteurs, de racines.
Les vins blancs sont admirables. Et puis il y a un domaine où la Suisse est incomparable, c'est la crème double, les fromages blancs. Et le bœuf Simmental qui peut paraître rustique mais qui est très intéressant. La particularité de la cuisine suisse est la proximité avec la nature. Où qu'on soit, en quelques minutes on est à la campagne. Ce qui permet un lien avec l'agriculture, avec les producteurs qui est essentiel. Le cuisinier a une responsabilité environnementale. Faire venir du bout du monde de la bonite séchée pour faire un bouillon n'a pas beaucoup de sens. En revanche, le travail du cuisinier est de trouver près de chez lui des produits qui entrent dans sa conception de la cuisine.
Je pourrais, mais je ne veux pas supprimer la viande de ma carte parce que je considère que le cuisinier n'est pas un donneur de leçon. Mais nous avons cette responsabilité de soutenir l'agriculture de proximité, l'artisanat, l'élevage raisonné. Si l'on soutient cette production-là, elle va se développer et sera accessible au plus grand nombre. C'est ce que j'appelle l'échelle de riche terre, faire naître le bio par nos actes. C'est une exigence que chaque cuisinier doit avoir, quel que soit son établissement, un grand étoilé ou un petit bistrot.
Il faut redonner du sens aux choses, à l'humain. Les gens veulent voir la main qui les nourrit. Aujourd'hui les restaurants proposent des cuisines ouvertes. De la même manière vont se développer les circuits courts, la production de proximité. Les gens ont envie de savoir d'où viennent les aliments qu'ils mangent. L'être humain se met à raisonner quand il est en mode survie. Les crises alimentaires, les crises économiques ont montré la fin d'un système. Les consommateurs finissent par comprendre que ce qui ne coûte pas cher coûte en réalité très cher. Cela passe aussi par repenser complètement notre alimentation à travers deux grands axes que sont les objets connectés et l'eau. Pourra-t-on encore à terme avoir de grandes fermes avec mille têtes de bétail ou arroser d'immenses domaines agricoles? La réponse est non. Ce qui nous interroge sur la manière de produire et de consommer. C'est aussi ce qui m'intéresse depuis toujours dans l'approche scientifique de la cuisine. Aujourd'hui j'ai extrait cette recherche de mes cuisines, en créant une chaire universitaire à Paris Sud sur la Cuisine du futur. Je vous donne un exemple. Si je prends une orange. Du point de vue du cuisinier, c'est un fruit. Mais un scientifique y voit des glucides, de la pectine, des fibres, de l'eau. En comprenant sa structure, je peux crééer une confiture d'orange qui gélifie et qui est sucrée grâce à ses éléments naturels, sans sucres ajoutés. J'utilise alors 95% du fruit et les diabétiques par exemple peuvent la manger.
C'est juste, il est aussi de notre reponsabilité de réhabiliter des produits moins nobles. Il y a quelques semaines a eu lieu le Taste of Paris (festival de cuisine). Aujourd'hui on a 1500 amis sur les réseaux sociaux, mais ce qui réunit vraiment les gens, le vrai lien social, cela reste encore la cuisine. Et avec l'intérêt grandissant des jeunes pour la cuisine, on se retrouve à devoir satisfaire une clientèle qui n'a peut-être pas un très grand pouvoir d'achat mais qui aime bien manger. Alors au Taste of Paris, où la clientèle avait entre 20 et 30 ans, on a proposé du paleron de boeuf cuit sept heures. C'est un morceau classique de la cuisine française mais que l'on a plus l'habitude de cuisiner. La majorité des jeunes ne le connaissaient pas mais ils l'ont découvert. Cela les intéresse, ils posent des questions.
Très bien, c'était un copain. On dit souvent que nul n'est irremplaçable, mais devant une disparition comme celle de Benoît, on se dit que certains vont quand même manquer. C'était un transmetteur. Il croyait à l'importance de la formation, des gestes fondamentaux. La maîtrise de la découpe, la maîtrise du feu et le bon timing. Tous ceux qui ont eu la chance de le connaître n'ont jamais douté qu'il serait un grand.
J'essaie de rendre la chance que j'ai eue, à un moment de ma vie, de rencontrer la cuisine. Je crois aux trois valeurs que sont la rigueur, dans le sens d'un projet, l'engagement et la régularité. Des principes qui guideront ces jeunes ensuite quel que soit leur parcours.
Ton opinion