Visiterle Japon
Au Japon, le sanma (balaou du Japon) et les calmars sont devenus moins facilement disponibles ces dernières années en raison de la faiblesse des captures et des prix élevés. Les extrêmes climatiques mondiaux, la pandémie de coronavirus et la guerre en Ukraine risquent de provoquer une flambée des prix des denrées alimentaires qui éloignera encore davantage les consommateurs du poisson.
Cependant, de nombreux poissons sont négligés malgré des débarquements réguliers.
La saison 2022 de la pêche au sanma s’est terminée par un plancher record… Les débarquements ont été aussi faibles qu’en 2021 (environ 18 000 tonnes), soit un trentième des maximums de la fin des années 1950 et début des années 1960, et environ un dixième d’il y a dix ans. La plupart des observateurs pensent que ces maigres captures vont se poursuivre. De même pour la taille des sanma qui est plus petite qu’avant : ce n’est pas vraiment demain que l’on pourra retrouver le bon goût de ce poisson gras, symbole de l’automne japonais.
Entre-temps, bien que la pêche au saumon se soit légèrement redressée depuis le mois d’octobre à Hokkaidô, le niveau total reste faible et le prix élevé des œufs de saumon (ikura) perdure. Selon un ancien acheteur pour un grand supermarché, les œufs de saumon qui se vendaient 600 yens les 100 grammes il y a une dizaine d’années dépassent aujourd’hui les 1 500 yens.
La pêche au thon en fin d’année dernière a également été mauvaise. Les débarquements de thon rouge ont été particulièrement médiocres, et au marché aux poissons de Toyosu, le thon sauvage domestique, comme celui d’Ôma dans la préfecture d’Aomori, se vendait souvent plus de 10 000 yens le kilogramme, soit 30 % plus cher que l’année précédente à mi-décembre.
Le crabe royal, dont la demande augmente en hiver, devient également de plus en plus rare. Sur un site de vente par correspondance où les grossistes intermédiaires du marché de Toyosu vendent leurs produits, une « épaule » quatre pattes était proposée à 40 000 yens. En outre, pour le jour de l’An, les œufs de hareng (kazunoko), dont le prix était stable depuis quelques années, se sont échangés 10 à 20 % plus chers que l’année précédente.
Nous souffririons donc d’une mauvaise pêche de la plupart des produits de la mer, des plus économiques aux plus haut de gamme. Cela donne l’impression que le poisson domestique est inaccessible, alors que la réalité est toute autre. Les sardines, les maquereaux, les coquilles Saint-Jacques, la bonite et le lieu jaune sont débarqués en abondance au Japon.
Ces cinq espèces de produits frais de la mer sont les cinq principaux produits de la pêche (en poids, coquilles Saint-Jacques en coquille) pour l’exercice 2021, selon les données du ministère de l’Agriculture, des Forêts et de la Pêche. Sur les 3,4 millions de tonnes de la production nationale de produits de la mer, les sardines et les maquereaux représentent à eux seuls environ un tiers (1,1 million de tonnes). Malgré cela, on n’a pas l’impression que les sardines et les maquereaux débordent des rayons de poisson frais des supermarchés ou dans les points de vente de plats cuisinés des grands magasins. Une consommation et une distribution déséquilibrées ont donné l’impression que tous les produits de la mer sont chers et que la cause est due à la faiblesse des captures.
Les sardines et les maquereaux possèdent un large éventail d’utilisations et ne sont pas des poissons impopulaires. Selon l’enquête du ministère de l’Agriculture, des Forêts et de la Pêche sur les expéditions de produits de la mer selon leur destination commerciale (publiée en octobre 2022), seulement 14,1 % de toutes les sardines sont « destinées à la consommation fraîche », c’est-à-dire celles qui vont sur les marchés aux poissons sans être congelées. L’écrasante majorité des sardines est utilisée à des fins non alimentaires, dont 40,8 % pour l’huile de poisson/les engrais animaux et 34,4 % pour l’alimentation de l’aquaculture ou de la pêche. La part du maquereau pour la consommation fraîche était également faible (13,8 %), tandis que la mise en conserve représentait 27,6 %. L’utilisation pour l’aquaculture ou comme appât pour la pêche représentait 45,3 % du total.
En outre, les sardines et les maquereaux sont exportés à l’étranger. Selon une société commerciale spécialisée dans les produits de la mer, le maquereau produit localement est exporté vers l’Asie du Sud-Est et l’Afrique, où « dans les pays d’Afrique australe, le maquereau japonais fumé est un élément de base de la cuisine familiale ». En revanche, le maquereau salé que l’on retrouve si souvent sur les tables japonaises, dans les plats du jour des restaurants et dans les bentô populaires provient principalement de Norvège, ce qui suscite des sentiments quelque peu mitigés.
Un responsable de la pêche de la préfecture de Miyagi explique que la raison pour laquelle les sardines et les maquereaux ne sont pas consommés au Japon est que, à moins qu’ils ne soient très gros et gras, ils sont congelés et ne sont pas expédiés frais. Même si une petite quantité de gros poissons est incluse, si les poissons sont majoritairement de petite taille, « dans de nombreux cas, il n’est pas possible de les trier en raison du manque de main-d’œuvre au port ».
Un commissaire-priseur du marché de Toyosu explique : « La norme pour l’achat de maquereaux est : 500 grammes ou plus ; et pour les sardines : 100 grammes ou plus. En-deçà, il n’y a pas d’acheteurs. » Même si le sanma est un peu petit, il peut être vendu en tant que produit saisonnier, mais les sardines et les maquereaux, qui sont débarqués toute l’année, doivent être bradés à vil prix si leur taille est inférieure à la norme.
La Direction de la Pêche s’est fixée pour objectif de relever le niveau des captures et d’améliorer sensiblement le taux d’autosuffisance en renforçant les mesures de gestion des ressources. Cependant, ce n’est pas si facile : le taux d’autosuffisance pour les produits de la pêche, qui est tombé à un niveau historiquement bas de 53 % au cours de la période triennale 2000-2002, s’est amélioré pour atteindre 59 % en 2009. Toutefois, on ne peut pas simplement s’en réjouir : la consommation de produits de la pêche par habitant, qui était de 40,2 kg au cours de l’année fiscale 2001, n’a cessé de diminuer depuis, pour atteindre seulement 23,0 kg au cours de l’année fiscale 2021. En d’autres termes, l’augmentation de l’autosuffisance n’est qu’un épiphénomène de la diminution globale de la demande, ce qui n’a aucun sens si la culture et les habitudes de consommation de poisson continuent à décliner. (Voir aussi notre article : Le taux d’autosuffisance alimentaire à son niveau le plus bas, une crise pour le Japon)
En outre, tout en se plaignant des faibles captures de sanma et d’autres poissons, les Japonais s’éloignent de plus en plus de leurs propres poissons. Outre le maquereau norvégien, une grande partie des chinchards consommés au Japon est importée de Corée du Sud et des Pays-Bas, et les filets de saumon grillé sont majoritairement des produits chiliens. Cela s’explique en partie par le fait que les produits de la mer japonais passent par un processus de distribution complexe depuis les ports de pêche en sous-effectif jusqu’aux consommateurs, alors que le poisson importé par l’intermédiaire de sociétés commerciales est vendu en gros aux détaillants et aux restaurants par des intermédiaires. Une fois que les filières sont établies, et la qualité du poisson s’améliorant rapidement, revenir à la production nationale ne sera pas une mince affaire.
Néanmoins, si chaque consommateur japonais augmente consciemment le nombre d’occasions de manger des sardines et des maquereaux produits localement, plusieurs fois par an, la consommation annuelle et le taux d’autosuffisance pourraient être grandement améliorés, et la situation favoriserait une amélioration de la distribution à partir des ports de pêche. Afin de protéger les pêcheries japonaises, outre l’augmentation des niveaux de captures basée sur une bonne gestion, et l’amélioration du tri et de la distribution dans les ports de pêche, l’attitude des consommateurs est capitale.
2023 doit être la première année où l’on s’efforcera d’utiliser les ressources locales et de transmettre de bonnes habitudes aux générations futures.
(Photo de titre : débarquement de petits poissons comme les sardines et maquereaux. Toutes les photos sont fournies par l’auteur, sauf mentions contraires)
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