Sur les toits du marché couvert d’Anderlecht, Steven Beckers, un architecte fervent défenseur des technologies propres, a imaginé une ferme où pisciculture et horticulture se combinent à merveille. Trois chefs étoilés de notre capitale en ont cuisiné le produit-phare, le bar rayé.
Dans la sphère de l’architecture, Steven Beckers occupe une place à part. Plus qu’aux bâtiments eux-mêmes, il s’intéresse à l’impact de ceux-ci sur l’environnement et met en oeuvre toutes les technologies disponibles pour limiter leur empreinte écologique. Parmi les projets emblématiques auxquels il a contribué, on notera par exemple la rénovation du Berlaymont. Avec son infrastructure d’élevage et de culture installée en toiture de l’abattoir d’Anderlecht (*), inaugurée en 2018, Steven Beckers a cependant franchi une étape supplémentaire. A savoir créer un réseau de fermes urbaines, » aquaponiques » – un système qui associe la culture de plantes et l’élevage de poissons – et durables dans les grandes villes.
» Un des éléments de base de ce type de culture, sous nos climats, est de disposer d’une source de chaleur dite » fatale « , dans le sens où elle serait de toute manière perdue, comme le biométhane d’une station d’épuration par exemple, précise le spécialiste. Dans notre cas, nous récupérons la chaleur dégagée par les 1 000 m2 de chambres frigorifiques du marché Foodmet situé sur le site des abattoirs. Cela nous permet de mettre les serres à température et de climatiser notre pisciculture. L’installation fonctionne en respectant les techniques du bio, même si tout ne peut pas être certifié. » Le cycle est tel que l’eau des bassins dans lesquels évoluent les poissons est filtrée et que les éléments organiques que ceux-ci délivrent fertilisent les serres. Dans l’une d’elles poussent deux sortes de tomates cerises sélectionnées pour leur saveur ; dans l’autre, des herbes aromatiques : basilic, basilic pistou, basilic thaï, persils plat et frisé, coriandre. » Pour le côté pisciculture, nous avons choisi le bar rayé. Cette espèce côtière vit en eau salée dans le golfe du Saint-Laurent et le long de la côte est américaine. Chaque année, elle passe plusieurs mois en eau douce, car le frai a lieu en rivière. Elle fut longtemps pêchée à outrance jusqu’à provoquer sa quasi-extinction. Les mesures de protection qui ont été prises font qu’on revoit cette espèce à l’état sauvage dans le fleuve canadien, même si sa population reste fort clairsemée. »
Le bar rayé d’élevage est croisé avec un bar blanc, qui évolue en eau douce. De ce fait, on obtient un poisson dont la chair est semblable à un poisson de mer mais que l’on peut élever en eau douce. Depuis l’alevin à l’animal adulte, qui fait environ 600 g, il faut compter plus ou moins dix mois de développement. Ensuite, ce produit est commercialisé principalement dans et autour de Bruxelles, notamment dans une quinzaine de supermarchés Carrefour. Comme le bar de mer, le bar rayé se prête à des cuissons en entier, après écaillage et évidage. Pour une préparation au four, au fenouil et à l’huile d’olive par exemple, on comptera une quinzaine de minutes à 180 °C, avec ou sans papillote.
Trois chefs bruxellois étoilés – Pascal Devalkeneer (Le Chalet de la Forêt), Tomoyasu Kamo (Kamo) et Yves Mattagne (Seagrill) – ont, chacun à sa manière, » travaillé » cette matière première. De leurs essais ressort un conseil-clé : il s’agit d’une variété à chair grasse et très ferme qui nécessite d’être cuite à feu soutenu sur la peau, celle-ci, bien croustillante, étant délicieuse. Tous trois ont également appliqué une technique ancestrale qui consiste à saler et dessaler le produit. Puis, chacun l’a interprété dans son univers.
Pour Pascal Devalkeneer, qui dispose d’un potager et d’un jardin aromatique dessiné par le paysagiste Erik Dhont, une sauce à l’hysope (un arbrisseau vivace) apporte les notes rondes et acidulées du babeurre qui se marient avec le gras du bar, le tout étant complété par des feuilles d’ail des ours.
Pour Yves Mattagne, la saison est celle des asperges qu’il utilise cuites et crues. Mais la tonalité du plat vient d’un de ses thèmes préférés, à savoir les jus de coquillages dont il a le secret. Il accroît encore le caractère iodé du plat en intégrant un beurre d’algues.
Du chef japonais Tomoyasu Kamo enfin, on attendait fort logiquement son expertise du poisson cru… Le sashimi qu’il propose est préalablement mariné avec de l’algue kombu qui apporte elle aussi un côté iodé. Son plat est une magnifique promenade dans un monde de saveurs où le produit initial se confronte tour à tour à l’acidulé de la pomme verte, au côté terre du radis noir et aux accents de fraîcheur du radis et du shiso. Cerise sur le gâteau, la sauce ponzu confère une continuité riche en umami. Magique !
Bar rayé fumé, moelle de brocoli et ail des ours, infusion à l’hysope
Pour 4 personnes
Pour le bar : 4 filets de bar rayé avec la peau (poissons de 500 à 600 g), sciure de hêtre, 1 filet d’huile d’olive, 20 g de sel de mer, sel et poivre du moulin.
Pour la moelle de brocoli : 1 pied de brocoli, 1/2 dl de fond de volaille, 25 g de beurre frais.
Pour l’infusion à l’hysope : 50 g de fond de volaille, 50 g de babeurre, 50 g de crème Isigny, 3 branches d’hysope fraîche, 1 filet de jus de citron jaune, sel et poivre du moulin.
Pour l’huile de jeunes oignons : 1 botte de jeunes oignons, 75 g d’huile de pépins de raisin, 1 pincée de sel fin.
Pour l’ail des ours : 8 feuilles d’ail des ours, huile de pépins de raisin.
Saler les filets durant 30 minutes. Les rincer à l’eau claire et les éponger. Les sécher 4 heures au frigo sur grille. Les fumer de 3 à 5 minutes au fumoir de pêcheur.
Pour la moelle de brocoli, parer le pied. Le passer à la mandoline dans le sens de la longueur. Blanchir ces fines tranches quelques secondes, puis les réchauffer avec le fond de volaille et le beurre. Réserver.
Pour l’infusion, mettre tous les liquides dans une casserole, et les faire réduire de 1/3, puis ajouter les branches d’hysope et laisser infuser 20 minutes hors du feu. Passer au chinois fin, rectifier l’assaisonnement et l’acidité avec le jus de citron. Mixer de manière à obtenir une sauce. Emincer finement les verts d’oignons, puis ajouter l’huile de pépins et mixer. Assaisonner, passer au chinois étamine et réserver pour le dressage. Nettoyer et plaquer l’ail des ours entre 2 feuilles de papier sulfurisé avec un filet d’huile. Saisir dans une poêle et réserver sur un papier absorbant pour le dressage. Saisir les filets coté peau dans une poêle antiadhésive avec un filet d’huile d’olive, assaisonner, puis dresser le tout.
Pour 4 personnes
4 filets de bar rayé de 100 à 150 g avec la peau, 6 grosses asperges blanches, 100 g de gros sel, 12 coques, 4 petits bouquets de chou romanesco, une noix de beurre, 8 feuilles de plante huître (algues déshydratées), 12 crevettes grises, 4 pluches de fenouil bronze (à défaut d’aneth), huile d’olive, sel et poivre, 1 à 2 c à s de beurre d’algues (facultatif).
Pour le jus de coquillages : 1 kg de moules, 2 côtes de céleri vert émincées, 1 poireau émincé, 1 oignon moyen émincé, 1 jeune carotte émincée, 1 branche de thym, 1 feuille de laurier, 1 gousse d’ail écrasée, 1/2 c à c de graines de coriandre, 2 à 3 c à s d’huile d’olive, 1 à 2 dl de vin blanc.
Couvrir les filets de bar de gros sel, selon l’épaisseur laisser de 5 à 10 minutes et les rincer ensuite sous un filet d’eau durant 10 à 20 minutes. Eponger soigneusement. Pour le jus de coquillages, faire suer 5 minutes dans l’huile tous les ingrédients, à l’exception des moules et du vin. Mouiller avec celui-ci à hauteur et réduire de moitié.
Ajouter les moules, couvrir et les faire ouvrir en secouant de temps à autre la casserole.
Réserver les moules pour un autre usage et filtrer le jus obtenu. Prélever 1 dl de jus de moules et cuire les coques dans celui-ci, à couvert. Prélever les pointes (5 à 6 cm) de 4 asperges et les cuire dans de l’eau bouillante salée (60 g de sel par litre). Détailler 2 asperges crues en fines lamelles à la mandoline.
Cuire les fleurs de romanesco dans le jus de moules avec un peu de beurre. Cuire le bar sur la peau dans un soupçon d’huile d’olive. Lorsqu’elle est croustillante, le passer au four à 200 °C pour 1 à 2 minutes max. Dresser sur assiette chaude les différents éléments, selon votre inspiration. Au dernier moment, mixer le jus de coquillages avec un peu de beurre agrémenté d’un mélange d’algues déshydratées et saucer sur les coques à raison de 2 à 3 c à s par assiette.
Kombu-jime de bar rayé
Pour 6 personnes
240 g nets (sans la peau) de filets de bar rayé, 20 cm d’algue kombu, 2 à 3 cl de riesling sec ou de savagnin de Savoie, sel de mer, vinaigre de riz, 18 petits bouquets de brocoli blanchis, 24 petites feuilles de shiso vert, 6 radis rouges en lamelles, 24 lamelles moyennes de radis noir, 30 bâtonnets de pomme verte.
Pour la marinade ponzu : 100 g de sauce soja, 100 g de jus d’agrumes (citron, citron vert ou yuzu…), 10 g de saké, 10 g de mirin, 5 cm de kombu, 8 copeaux de katsuobushi (bonite séchée), 50 g de daikon râpé grossièrement. Deux jours avant, préparer la marinade en mélangeant tous les ingrédients. Laisser reposer 48 heures au frais.
Saler légèrement les filets et les rincer avec un peu de vinaigre de riz. Eponger.
Mouiller l’algue kombu avec un linge humide de manière à la réhydrater. Idéalement la placer sous vide en la mouillant avec un peu de vin blanc et avec le filet de bar rayé. Il est aussi possible d’emballer le tout dans trois couches de film alimentaire bien serrées.
Mettre 12 heures au moins au frigo.
Tailler en sashimi. Répartir sur assiette les différents ingrédients d’accompagnement. Saucer avec la marinade ponzu.
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Le bar rayé revisité par trois chefs étoilés (+recettes)
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