Informations complémentaires, manipulations en commun, pêcheurs et scientifiques partagent la recherche et les pratiques d’amélioration de la pêcherie de thon rouge.
« Finalement, ce seront les raies. » En cet après-midi d’août, Tristan Rouyer, chercheur au laboratoire halieutique Méditerranée à la station Ifremer de Sète, a embarqué pour une journée de pêche au thon rouge à la palangre avec David Garcia, le patron du petit métier Thoyan III, et son fils Anthony, matelot. Le scientifique mène de front deux programmes avec les petits métiers. Smartsnap espère créer une palangre intelligente pour ne garder que les espèces commerciales au bout de l’hameçon et relarguer les autres. Rayvival s’intéresse à la raie pastenague commune, l’une des deux espèces qui, avec le requin peau bleue, composent le gros des prises accessoires non souhaitées.
À bord, l’ambiance est concentrée et conviviale. Les deux hommes se connaissent bien. Chacun est un spécialiste du thon rouge et, ensemble, ils ont partagé une campagne à la senne en Méditerranée. Alors que la saison du thon rouge à la palangre redémarre, les poissons seront-ils au rendez-vous ? Au bout d’une heure et demie de route, le patron file la palangre avant la pause sandwich pour attendre que le poisson morde. La mer est belle, l’eau chaude, 24° C au large.
Désinfectant, ciseaux, fil d’acier très fin, gaine chirurgicale, étiquettes : la boîte de travail du scientifique ressemble à une trousse de chirurgien. (Photo : Hélène Scheffer)
Le pêcheur est « impatient de savoir si le thon est là ». Vers 20 h, rassuré, il en aperçoit deux à fleur d’eau. Pour cette sortie, le scientifique espère « de nombreuses tchoutches », rit-il en utilisant l’ancien terme pied-noir resté dans le vocabulaire méditerranéen. « Le fil rouge de ma recherche, c’est cet aller-retour avec la profession, explique Tristan Rouyer. Être sur le terrain est essentiel pour entendre les questions des pêcheurs, les besoins, de comprendre et accompagner les évolutions des pratiques. »
Pour son programme d’étude, le chercheur dispose de marques électroniques qui enregistreront les données de nage des raies pastenague, une fois libérées de l’hameçon. Quel est le taux de survie ? Le relâcher est-il neutre ? « Il n’est pas rare de trouver des raies avec déjà un ou deux hameçons coincés dans la bouche. Cela n’a pas l’air de les gêner pour manger. »
le nombre de tags électroniques posés au cours de la marée, sur les 35 fabriqués pour l’étude.
La longueur, en milles, de la palangre, avec 850 hameçons et 80 kg d’appâts de sardines congelées.
Les requins et raies pêchés accessoirement sont tous remis à l’eau. Car s’ils ne sont pas interdits à la vente, ils sont classés espèces sensibles.
Tristan Rouyer a emporté ses tags avec du matériel d’attache : aiguille à locher de la pêche au vif pour faire passer le fil, ciseaux, désinfectant, fil de serrage très fin pour fixer la marque. Celui-ci est protégé par « une gaine chirurgicale sans bactérie ». Le travail a démarré dès l’automne 2021.
Connaissance du poisson, gestes techniques, les compétences du pêcheur sont importantes pour une manipulation précise. (Photo : Hélène Scheffer)
« L’enjeu a été de trouver l’endroit le moins intrusif et le système d’attache qui gêne le moins la nage du poisson », souligne Tristan Rouyer, qui s’est d’abord entraîné sur des carcasses. Et a consulté, comme à chaque fois, le comité régional d’expérimentation animale.
Alors que la nuit tombe, il est temps de remonter la palangre. La première prise est un requin peau bleue, immédiatement relargué. Suivent de nombreuses raies dont dix seront marquées et remises à l’eau en à peine trois minutes chacune, une bonite, trois thons, un beau marlin de Méditerranée. Et aussi un espadon trop petit et d’autres requins peau bleue, tous relâchés vivants. À 4 h, le navire est de retour à quai. « Une belle pêche typique de Méditerranée », sourit Tristan Rouyer, qui aime ces sorties courtes au poisson hyper frais « qui permettent de garder du temps pour le travail d’analyse au laboratoire ensuite ». Les résultats sont attendus en fin d’année.
Trouver l’endroit le moins intrusif, bien positionner le tag pour ne pas gêner la nage mais en maintenant la marque attachée longtemps au poisson, vite remettre à l’eau : les enjeux du marquage sont nombreux. (Photo : Hélène Scheffer)
Cet article est paru le 1er septembre dans notre mensuel, en version papier, dans le supplément France filière pêche. Le mensuel est à retrouver en kiosque, sur le site du « marin » et sur notre boutique en ligne.
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