Nicolas de Rabaudy —
Temps de lecture: 4 min
Les produits et la mémoire culinaire du pays basque s’exportent fort bien. À Paris, au Café Pleyel situé au deuxième étage de la grande salle de concerts, Arnaud, géant affectueux, fils du mousquetaire d’Auch André Daguin, inventeur de la brochette de foie gras aux langoustines, mitonne un florilège de plats basques, sa région d’adoption, lesquels reflètent la tradition, les façons de cuisiner très anciennes de cette province d’extrême sud, coincée entre océan et montagne.
Dans la cuisine du Café Pleyel, Arnaud Daguin parvient à transmettre les goûts et les saveurs basques; il travaille toute l’année le merlu parfumé d’une sauce «encanardée» et de pommes allumettes (22 euros), le maigre, un poisson blanc de l’Adour d’une étonnante finesse –jusqu’à 40 kg– préparé en tartare ou en pavé escorté de choux et de châtaignes (24 euros), la brandade est agrémentée de graisse d’oie (20 euros) et le foie de canard au naturel (exquis) est accompagné de pain de mie toasté (15 euros).
Très sensible à l’écologie, au respect des filières agricoles et des produits sans chimie, Arnaud indique sur sa carte que les poissons sont issus de la pêche artisanale et durable des mareyeurs basques. De même, la majorité des légumes et des fruits ont poussé selon les normes de la culture biologique dans le sud-ouest, champignons, topinambours, châtaignes, carottes, brocolis, mesclun, céleris boules…
Comme le disait le regretté Alain Chapel à Mionnay (Ain), il s’agit de manger la vérité et d’avoir l’humilité de rester fidèle à la mémoire des pratiques culinaires: non aux acrobaties et fantaisies de la fusion food.
De ce point de vue, Arnaud Daguin, implanté en saison dans la ferme basque d’Hegia (05 59 29 67 86), a la tête et les pieds bien fixés dans son terroir. Des préparations emblématiques comme le poulet basquaise ne dérogent pas à la tradition, c’est à l’origine un ragoût concocté avec des restes recuits à l’aide de la piperade riche de poivrons verts et rouges sans la peau (quatorze sortes dit Daguin) et de jambon de Bayonne.
De la mer si généreuse sur les côtes biarrotes et jusqu’à l’Espagne, Daguin s’attache à mettre en valeur la louvine tendre et goûteuse, mouillée au vin rouge, les encornets grillés, les filets d’anchois frais, la délicate ventrèche de thon des artisans pêcheurs, la bonite (employée par Michel Guérard à Eugénie les Bains) escortée de champignons et de topinambours braisés (23 euros) et le rare gratin de courges «lurrama» au fromage bio de brebis, oignons jaunes et mesclun: une étonnante assiette jardinière.
Au Café Pleyel, en prélude aux concertos de Mozart ou aux récitals de Cecilia Bartoli, Daguin l’Aquitain se veut un ambassadeur sensible, intelligent, pragmatique de son pays, interprété, côté gourmandises, avec doigté –excellent rapport prix plaisir.
Depuis 1991, Jean-Marie Gautier, longiligne et plutôt taiseux, étoilé Michelin, règne sur les cuisines de l’Hôtel du Palais à Biarritz, cadeau de Napoléon III à son épouse Eugénie. C’est en 1903 que la bâtisse originelle est devenue un grand hôtel, véritable balcon sur l’océan et ses rouleaux, occupé à la Belle Époque par des têtes couronnées, la gentry cosmopolite éprise des bains de mer et le Tout Paris d’alors, Sacha Guitry en tête puis Franck Sinatra dans les années 1960. Grâce à la beauté impériale du Palais, Biarritz a rivalisé avec Cannes et Deauville.
Enfant de Touraine, fils d’un fermier producteur de fromages de chèvres de Valençay, Jean-Marie Gautier, M.O.F., s’est coulé dans le moule basque, tout heureux de vagabonder dans la palette bien fournie des cadeaux terre et mer de la province basque. «C’est un véritable pays de Cocagne, un réservoir infini d’ingrédients, de légumes, de fruits, de crustacés, de poissons, de viandes, de charcuteries, de volailles qui forgent un répertoire hors du commun.»
Aux trois restaurants du Palais, le chef Gautier, à la tête d’une brigade de trente cuisiniers, pâtissiers, boulangers, ressuscite des plats d’hier comme la garbure, cette soupe aux gésiers et légumes, le confit de canard, les pibales à l’ail (ces alevins qui coûtent des fortunes), l’agneau des Pyrénées, le porc basque, le bœuf de Chalosse, la blonde d’Aquitaine… Et l’on ne dira rien des truffes expédiées du Périgord.
Imposant par sa dimension, le palais à la façade ocre et blanche est l’un des rares grands hôtels français à ne pas se cantonner dans un registre culinaire international, passe-partout. C’est tout le mérite du chef Gautier, imprégné des ressources basques, de proposer des chipirons (l’été), l’araignée de mer, les palourdes, le chevreuil en salmis, le magret de canard, le piment d’Espelette et le gâteau basque enrichi par de la fine semoule de maïs, la recette ancestrale.
À la Rotonde, le splendide restaurant en arrondi sur l’océan, la plus belle table de France dixit Alain Ducasse, Biarrot d’adoption, les jambons, charcuteries et fromages de l’éleveur Pierre Oteiza sont à l’honneur, lesquels voisinent avec l’alose de l’Adour, la lamproie si rare (existe en bocaux) et la poularde des Landes, plus tendre et fondante que d’autres variétés –celles de Houdan ou de Loué par exemple.
Le Palais qui appartient à la municipalité de Biarritz est géré par un Alsacien fou de l’hôtel, Jean-Louis Leimbacher, qui l’a maintenu en bon état. L’un de ses plus fidèles clients n’est autre que Michel Guérard, l’inventeur de la cuisine minceur, septuagénaire toujours présent au piano, chez lui dans les Landes. Un hôte de choix qui sait ce que bien manger veut dire.
Nicolas de Rabaudy
Nicolas de Rabaudy
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