Si la génétique est certainement impliquée dans nos performances intellectuelles et notre risque de souffrir de certaines maladies psychiques ou neurologiques, rien n’est écrit d’avance.
Lorsque le bébé vient au monde, son cerveau est déjà vieux de huit mois d’expériences et d’influences de son environnement. Huit mois déterminants pour l’avenir, même si la vie à l’abri de l’utérus maternel offre un développement sensoriel assez limité.
Son cerveau s’est formé à peine quatre semaines après la conception, à partir de l’une des trois couches de cellules constituant l’embryon. Celle-ci devient un tube neural depuis lequel le cerveau va se former, se développer et se différencier sous le contrôle des gènes, mais va être façonné par l’environnement. En deux mois, il compte cent milliards de neurones et quelques millions de cellules de soutien répartis en quatre lobes et une dizaine de régions cérébrales. Vers 22 à 24 semaines, on peut détecter des réactions chez le fœtus, qui prouvent qu’il a déjà une forme de mémoire des sons ou des contacts, et des capacités d’apprentissage.
Vers 30 semaines, il acquiert une mémoire : celle de la voix de sa mère, de plusieurs sons, d’une langue, de morceaux de musique ou d’odeurs. Ces souvenirs persisteront après sa naissance.
Dès 32 semaines le bébé peut être conditionné et apprendre à reconnaître n’importe quel stimulus, par exemple tactile.
Les neurones se multiplient et se connectent les uns aux autres à une vitesse vertigineuse pour peu que l’environnement soit propice sans stress maternel ni carences ni produits toxiques.
Au final, le cerveau du nouveau-né contient deux fois plus de neurones que ce dont il a besoin pour assurer plus tard ses fonctions.
Bon à savoir : le cerveau fœtal peut former jusqu’à 1 million de nouveaux neurones par minute et 1,8 million de connexions par seconde.
– Le stress maternel peut être à l’origine d’un comportement anxieux et d’hyperactivité chez l’enfant après sa naissance.
– Les carences alimentaires de la mère durant la grossesse peuvent gravement altérer le développement du cerveau du fœtus. Le manque d’acide folique (vitamine B9) et de vitamine B12 est à l’origine d’anomalies comme le spina bifida ou l’anencéphalie. Une carence en protéines peut aussi altérer la croissance des neurones et de leurs connexions. Le fer ou le zinc sont nécessaires pour la migration des neurones de leur zone de production à leur localisation finale, et les acides gras polyinsaturés à longue chaîne (oméga-3, oméga-6 ), pour le développement des connexions entre neurones.
– Un diabète mal contrôlé expose le cerveau du fœtus à un excès toxique de glucose.
– La consommation régulière d’alcool, même à petites doses, altère le développement cérébral du fœtus, avec des répercussions possibles sur l’intelligence, le langage, la mémoire et l’apprentissage, la concentration, ainsi que le comportement et les aptitudes motrices. D’où la tolérance zéro recommandée par l’Académie de médecine. À noter que la consommation d’alcool durant la grossesse est l’une des principales causes de déficience mentale.
– Fumer est doublement nocif pour le cerveau du bébé à naître. Cela réduit son irrigation sanguine, donc son alimentation en oxygène et en nutriments, et la nicotine altère le fonctionnement de neurotransmeteurs. Ce qui peut avoir des répercussions sur la taille du cortex orbitofrontal impliqué dans les comportements sociaux et celle du corps calleux qui relie les deux hémisphères cérébraux.
– Le mercure est très nocif pour les cellules du cervelet et du cortex. Gare aux abus de sushis et sashimis, car le plus grand risque d’avaler du méthylmercure provient de la consommation de certains poissons. Il est recommandé aux femmes enceintes d’éviter les plus contaminés (comme le requin, la lamproie, l’espadon et le marlin,) et de limiter à 150 g par semaine la consommation de ceux susceptibles de l’être fortement (la baudroie, la lotte, le loup de l’Atlantique, la bonite, l’anguille, l’empereur, le grenadier, l’hoplostète orange ou de Méditerranée, le mulet, le brochet, le flétan de l’Atlantique, la cardine franche, la palomète, la raie, le grand sébaste, le sabre argent ou noir, la dorade rose, l’escolier noir, l’esturgeon, le capelan de Méditerranée, le thon…).
Durant un peu plus d’une décennie à partir de la naissance, le cerveau ne va cesser de se développer et de faire et défaire les connexions entre neurones à une vitesse phénoménale. Cette construction est façonnée par les apprentissages, les expériences et l’environnement affectif mais aussi par les carences et les traumatismes psychiques. Au fur et à mesure de l’activation des différentes régions cérébrales, les compétences de l’enfant se développent : les mouvements volontaires vers 2 ou 3 mois ; les émotions et l’attachement, la mémoire de travail, l’attention et la planification entre 6 mois et 1 an ; le sens de soi vers 1 an et demi ; et celui des autres avec son propre esprit vers 3 ou 4 ans.
À 6 ans, le cerveau de l’enfant est capable de logique et de confiance. Alors qu’il atteint déjà 95 % du poids du cerveau d’un adulte, il continue à croître et à faire le tri dans ses réseaux de neurones au gré des expériences et des apprentissages. Dans la matière grise de cet adulte en devenir, tout ce qui n’est pas utilisé durant cette période est détruit. De l’intérêt pour un enfant dont le cerveau est capable de tout enregistrer (mais pas de tout comprendre) de multiplier les expériences et les apprentissages plutôt que de rester devant un écran de télévision ou d’ordinateur. À 11 ans pour une fille, 14 ans pour un garçon, il atteint son maximum de matière grise. L’âge de raison se termine.
De l’enfance, le cerveau adolescent a gardé la flexibilité, ce qui en fait toujours une éponge à apprentissage. Mais la cacophonie neuronale qui y règne explique pourquoi les ados sont irrationnels, pour ne pas dire sots, irritables, casse-cou, égoïstes et souvent mauvais dormeurs. N’incriminez pas les hormones. Si leur cerveau a fini sa croissance, il n’est pas totalement câblé.
Les neurones sont là, mais leurs réseaux ont encore besoin de maturation, c’est-à-dire de l’élimination des connexions produites en surabondance dans l’enfance. Cet élagage sélectif de la matière grise va se faire zone cérébrale par zone cérébrale. Les travaux de Jay Giedd, pédopsychiatre de l’Institut de santé mentale, à Bethesda (États-Unis), sur des centaines de jeunes gens soumis à une IRM tous les deux ans, du premier âge à plus de 20 ans, ont révolutionné la neurologie en montrant que cette maturation progresse de l’arrière du crâne vers les zones frontales : d’abord les zones sensorielles et motrices, puis celles impliquées dans le langage et l’orientation spatiale et finalement les régions des fonctions supérieures exécutives et du traitement de l’information. Au prix de 1 % de perte par an, la maturation cérébrale s’achève vers 22 ans.
L’ultime étape concerne la zone tout à l’avant du lobe frontal (le cortex préfrontal dorsolatéral), qui participe au contrôle et au traitement des informations émotionnelles envoyées par l’amygdale, la structure cérébrale qui gère les réactions au stress. Rien d’étonnant à ce que, jusqu’à cette dernière phase, les adolescents aient un tempérament imprévisible. Cette zone, immature jusqu’à plus de 20 ans, est également impliquée dans le contrôle des pulsions, le jugement, la prise de décision, la compréhension des conséquences de ses actes. Ce qui peut expliquer les choix stupides et les comportements à risque, comme la prise de drogue, l’abus d’alcool ou les rapports sexuels non protégés. D’autant plus à risque que, dans le cerveau adolescent, le circuit de la motivation et de la récompense est particulièrement bien câblé pour l’addiction.
Celui-ci commence avant l’âge de 30 ans et va se poursuivre la vie durant, toutes les capacités cérébrales diminuant à leur propre rythme. Les premières touchées sont les dernières arrivées à maturation, celles qui participent au contrôle exécutif, telles la coordination des tâches ou la planification.
À 30 ou 40 ans, même si l’on ne s’en rend pas compte, la mémoire épisodique (celle des « Je me souviens ») décline également rapidement, la mémoire de travail emmagasine de moins en moins d’informations et la vitesse de leur traitement ralentit. Au test mental MMS qui évalue les tâches motrices, arithmétiques et de langage, un adulte en bonne santé perd en moyenne presque 1 point tous les dix ans, soit 3 ou 4 points en trente ans une baisse de performance qui chez une personne âgée est considérée comme inquiétante. Certes, il s’agit surtout d’un déclin de l’intelligence fluide, qui sous-tend la vitesse de traitement des informations par le cerveau, tandis que la sagesse et l’expérience s’améliorent en principe avec l’âge. Mais il s’agit tout de même d’un déclin. Rassurez-vous, il est toujours possible de le contrer en continuant à stimuler son cerveau et en lui offrant une bonne hygiène de vie.
Arrivé à l’âge de la retraite, le cerveau, comme le corps, n’est plus ce qu’il était. Les seniors maugréent fréquemment à cause de leur mémoire défaillante car, à partir de la soixantaine, dans l’ombre de la maladie d’Alzheimer, l’anxiété est latente. On oublie souvent le nom des gens et on égare ses lunettes. En cause, la perte des cellules de l’hippocampe qui traitent les souvenirs. Pourtant, plutôt qu’à un véritable déficit de la mémoire, la plainte est souvent due à une baisse des performances attentionnelles et à un ralentissement dans toutes les tâches intellectuelles.
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Pour mettre de son côté toutes les chances de garder un cerveau performant, il faut combiner un haut niveau d’études, une vie sociale, affective et intellectuelle riche, une saine hygiène de vie et une bonne santé cardiovasculaire et métabolique.
Bref, il s’agit de ne pas rester dans son fauteuil devant un écran de télévision à manger des gâteaux. À ce prix, un sexagénaire peut avoir des capacités intellectuelles identiques, voire supérieures, à celles d’une personne jeune.
Mais avoir des performances dans la norme de son âge, avec un cerveau capable de s’adapter aux modifications liées à l’âge, c’est déjà un vieillissement réussi.
Des chercheurs de l’université de Stanford (Californie) ont sélectionné des étudiants habitués à manier de nombreux supports d’information et d’autres qui l’étaient moins. Puis ils les ont soumis à des tests pour évaluer attention, mémoire et vigilance, c’est-à-dire la capacité qu’avaient des étudiants plus ou moins multitâches à résister à la distraction en effectuant différents exercices simultanément.
Résultat : les sujets réputés les plus multitâches se sont montrés moins concentrés, plus facilement distraits et moins performants que les monotâches, et ce dans de nombreux exercices.
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