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Vendredi prochain, l’institution des Champs Élysées accueillera la crème du cinéma français, après la traditionnelle cérémonie. Un repas de gala hors-norme.
Nous sommes au Fouquet’s lors du dîner de gala des César, millésime 1982. Coincé derrière une nappe à fleurs, le gigantesque Orson Welles ouvre deux yeux exorbités. Le ministre de la Culture Jack Lang esquisse un rictus, la main gauche posée sur la banquette tandis que la droite saisit un verre de vin blanc sur la table. Même pas peur. Près des assiettes, on a disposé des petits pains sur lesquels le boulanger Lionel Poilâne a inscrit «Citizen Welles». On rit fort, on parle haut. Un nuage plane au-dessus d’Isabelle Adjani tout juste sacrée Meilleure Actrice. L’interdiction du tabac dans les restaurants n’est pas encore en vigueur. C’est à ce genre de détails que l’on comprend que le temps a passé. Ainsi va la vie. «Il y a six ans, même Sean Penn a été prié de sortir pour fumer», relève le maître d’hôtel Denis Barbet, un des vétérans de la maison.
Le 20 février, 720 invités et des poussières d’étoiles débarqueront depuis le Théâtre du Châtelet pour envahir les salons, les salles à manger et même un chapiteau en dur, 150 m², construit pour l’occasion sur l’avenue George-V.
Pour marquer les 40 ans de la cérémonie fondée en 1976, les serveurs déposeront au dessert, dans l’assiette de chaque convive, un gâteau au chocolat noir et au lait, au cœur de croustillant praliné, petite architecture dominée par une bougie blanche en chocolat blanc. Exit l’époque des pièces montées baroques élevées en plein milieu du restaurant. Sur un cliché de 1981, on revoit Nathalie Baye et Yves Montand approchant la lame de leurs couteaux de cuisine en direction d’une pâtisserie à cinq étages. Catherine Deneuve pique une chouquette. François Truffaut tend son assiette. «C’était la bagarre avec les photographes pour pouvoir servir les tables», glisse Christophe Vion, 37 ans de maison. «À l’époque, une commerciale du restaurant était envoyée au Châtelet pour nous annoncer les gagnants en direct, par téléphone, se souvient Jean-Yves Leuranguer, chef du restaurant depuis 2003. Nous inscrivions les noms aussitôt sur la pièce montée. Maintenant qu’il y a les smartphones, ce sont les commis au service qui montent et nous apprennent les dernières nouvelles.»
Entre 22 heures et minuit, le temps se suspend, le navire flotte entre deux eaux. Les serveurs ont enfilé leur tenue noire, noué leur cravate argent. Tout est prêt. Les équipes sont sur le pied de guerre. «On attend, on attend», répète Denis Barbet. Puis vers minuit quarante-cinq, c’est le raz-de-marée. Six cars gris transportant le gotha du cinéma français stationnent en double file – les ego délicats débarquent en limousine. Les 200 employés ne disposent que d’une heure trente pour envoyer entrées, plats et desserts. Les fraîcheurs de tourteau ont déjà été dressées sur le coup de 18 heures. On ajoute la crème mousseuse à la moutarde, un biscuit croustillant et les fines herbes. Quant au paleron de bœuf, il est cuit dès la veille 18 heures à 52 °C, puis flashé à haute température au moment du service. Résultat: un morceau d’une belle couleur rosée et fondant qui arrivera avec sa pomme purée truffée, ses carottes glacées et un jus à la bonite séchée. Les estomacs sensibles sont l’objet de tous les égards. Les végétariens ont généralement droit à un wok de légumes ou un risotto. Les «sans-gluten» à des pâtes de quinoa aux fruits de mer.
Si le premier dîner de gala des César s’est tenu en 1976 à l’Elysée Matignon, tenu alors par l’acteur Armel Issartel, tous les suivants auront lieu au Fouquet’s. Cette année-là, Maurice Casanova vient de racheter cette brasserie chic fondée en 1899 à l’angle des avenues George-V et des Champs-Élysées. Amphitryon hors-pair et homme de culture, il débarque de la rive gauche et emmène dans son sillage tout un monde d’artistes et de comédiens. Parmi eux, un certain César, célèbre pour ses compressions métalliques. «Pour lui, la restauration n’était pas que de la cuisine. C’était du spectacle», confie son fils Charles qui a repris les rênes de 1993 à 1998, avant de vendre l’affaire à l’actuel propriétaire, le groupe Lucien Barrière.
Il n’est ainsi pas rare de voir les stars glisser un pied en coulisse les soirs de gala. Il y a quelques années, l’électrique Benoît Poelvoorde fit une fois irruption en cuisine, attrapant la toque de Jean-Yves Leuranguer et haranguant la brigade: «Qu’est-ce que vous faites? Vous allez vous réveiller?» Et prenant à partie un commis: «Où avez-vous mis ma mayonnaise?» «C’est extraordinaire comme ça avait boosté l’équipe», commente le cuisinier encore épaté de la prestation. À l’inverse, ce col tricolore, Meilleur ouvrier de France en 1996, n’échappe pas au rituel du petit tour en salle. «Une fois, en me retournant, je suis littéralement tombé dans les bras de Marion Cotillard.» On imagine son trouble. Au début des années 1980, en se retrouvant à table face à Fanny Ardant et Gérard Depardieu, François Truffaut déclara: «Voilà le couple de mon prochain film!» La Femme d’à côté sortait peu de temps après.
«Les flashs sont toujours là, mais la véritable violence médiatique s’est déplacée sur les stars de la télé, du football», confiait Édouard Baer samedi dernier, à la sortie du déjeuner des nommés qui s’est tenu sur place. Lunaire, vibrionnant, le comédien parle tout bas, dans le lobby de l’hôtel attenant au restaurant: «Je me suis pris une chambre. J’ai demandé s’ils avaient un tarif maître de cérémonie», explique-t-il. Ex-patron d’un restaurant, Les Parisiennes, dans la capitale, et auteur d’une pièce de théâtre intitulée Miam Miam, le Monsieur Loyal de l’édition 2015 fréquente les César depuis une quinzaine d’années. «Avant, ça parlait dans le dos, on se tirait la bourre: “c’est moi le premier, c’est lui le deuxième…” Aujourd’hui, l’ambiance est plus gentille, bienveillante. Premiers films et sociétaires sont traités à égalité. Les invités vont de Sean Penn à Abd Al-Malick, de Louane Emera à Catherine Deneuve», explique-t-il juste après avoir avoué s’être faufilé derrière le passe-plat pendant le déjeuner pour se faire servir un verre de meursault blanc, Les Tillets, 2012. «Le mouton-cadet qu’il y avait à table, ça n’allait vraiment pas. En 2008, au dîner du Festival de Cannes, les serveurs m’avaient camouflé un château Tampier en le versant dans un des flacons servis à l’assemblée. Ça, c’est un souvenir! Jim Harrison disait de ce bandol que c’est le soleil en bouteille.» Notre petit doigt nous dit qu’il a déjà pris ses dispositions pour le dîner de la semaine prochaine.
Parler de cinéma et de gastronomie à l’occasion du dîner des César au Fouquet’s sans signaler ce petit opus réjouissant relèverait de la faute de goût. Car ce tout récent ouvrage, Au cinéphile gourmand, préfacé par le cinéaste Laurent Bénégui, est l’œuvre d’un passionné de septième art autant que de gastronomie. Guillaume Robequain, directeur d’école à Paris dans la vraie vie, a parcouru les lieux de tournage de ses films préférés et y a dîné, en famille ou entre amis, pour réaliser ce vade-mecum sous-titré Mangez où ils ont tourné. Sur les centaines d’adresses visitées, il n’en a conservé finalement que 36, disséminées dans les différents quartiers de la capitale. Celles qui correspondaient à ses critères de «bon film et bonne chère», duo indissociable à ses yeux. Pour chaque bar, bistrot ou brasserie de sa sélection, il rappelle le nom du cinéaste, le «pitch» du film, la scène qui s’y déroule, une réplique culte et bien sûr quelques plats phares de la carte. Ainsi, on se balade chez Lipp (75006) avec Tanguy, au Pause-Café (75011) avec Chacun cherche son chat, chez Drouant (75002) avec Le Corniaud… Et grâce à lui, on se fait un resto-une toile en simultané.
Au cinéphile gourmand, Éditions Jubarte. 13,90 €.
janou001
le
Comment ça le Fouquet’s? Mais non, ce n’est pas possible… ce symbole de la droite bling bling… vous ne voyez tout de même pas toute la faune de gôôôche s’y rassembler après l’avoir tant décrié voyons!
Jesse James 68
le
“haranguant la brigade: «Qu’est-ce que vous faites? Vous allez vous réveiller?» Et prenant à partie un commis: «Où avez-vous mis ma mayonnaise?» «C’est extraordinaire comme ça avait boosté l’équipe», commente le cuisinier encore épaté de la prestation”.
Waouhhhhh !!! Comme c’est drôôôôôle !! Il en faut vraiment peu pour épater les gogos ..
saint émilion
le
Le Fouquet’s ce haut lieu branché réservé (uniquement) à la gauche.
INFOGRAPHIE – Au même titre que le foie gras, les huîtres et la dinde, elle est entrée dans les foyers français il y a de cela bien des années, mais sous une tout autre forme.
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Les César se régalent au Fouquet’s
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